Dans son rapport annuel, rendu public le 8 février 2016, la Cour des comptes pointe la situation de blocage dans laquelle se trouve l’université Paris-Saclay. Unissant sur le plateau francilien (Essonne et Yvelines) les fleurons français de l’enseignement supérieur et de la recherche – l’université Paris-Sud, CentraleSupélec, Polytechnique, l’ENS Cachan, le CNRS, le CEA… –, le projet bute depuis plusieurs mois sur des désaccords entre ses dix-huit membres concernant le modèle de gouvernance à emprunter. Avec, en arrière-plan, les tutelles ministérielles – Bercy, la Défense et l’enseignement supérieur – qui n’arrivent pas à s’entendre.

L’institution publique évalue les financements publics investis sur ce projet de grand cluster scientifique et technologique du sud francilien à 5,3 milliards d’euros depuis 2010 (engagés ou prévus) - dont 700 millions sur le volet scientifique, 2,6 milliards sur le volet immobilier et l’aménagement du plateau et enfin deux milliards pour les transports en commun. Mais qu’il s’agisse du regroupement universitaire, de l’aménagement du site ou de son développement économique, la Cour déplore un manque de stratégie et de gouvernance globales pour assurer la cohérence nécessaire à un projet d’une telle envergure. « La désignation d’un responsable interministériel serait aujourd’hui de nature à garantir la cohérence des actions de l’Etat sur le site de Saclay et la maîtrise de leur financement », prône-t-elle dans son rapport.

L’inquiétude des conseillers de la rue Cambon se concentre sur « la création d’une grande université de recherche intégrant universités et grandes écoles », qu’ils jugent « au point mort ». Avec le risque qu’un tel investissement se résume à un simple rapprochement d’établissement d’enseignement supérieur et de recherche « sans cohérence réelle ni visibilité internationale ».

« Logique divergente »

Pour la Cour, « L’Etat se révèle incapable de parler d’une seule voix », laissant s’affronter deux visions concurrentes : celle d’aller vers une grande université unifiée, portée notamment par l’université Paris-Sud, et celle portée par l’École Polytechnique, qui a l’inverse, refuse d’aller plus loin dans le rapprochement en cours. Le prestigieux établissement militaire « a désormais pour objectif de réunir dans une alliance l’ensemble des grandes écoles d’ingénieurs du plateau de Saclay », estime la Cour.

L’université Paris-Saclay se trouve ainsi « confrontée à la logique divergente de deux modèles d’enseignement supérieur français », déplore l’institution financière, qui appelle d’urgence à une « décision pragmatique », sur « un mode d’organisation permettant d’atteindre l’objectif de création d’une université de rang mondial et de contribuer à l’émergence d’un cluster de niveau international ». Si besoin avec une loi ad hoc, pour permettre à ce complexe alliage d’établissements très différents de trouver le format adéquat.

Une question institutionnelle qui a toute son importance avec la compétition nationale des IDEX (Initiative d’excellence) dans laquelle Saclay est engagée et qui vise à distinguer les universités d’envergure mondiale. Si l’université Paris-Saclay a réussi à décrocher ce label et la trentaine de millions d’euros annuels qui y sont associés, il y a cinq ans, le jury international, en charge d’évaluer de nouveau les projets en avril 2016, lui a donné un an demi pour faire de nouveau ses preuves sur la réalité de ce projet de grande université intégrée. Sous peine de perdre le label et le financement.

Un modèle à deux vitesses

Pour le président de l’université Paris-Saclay, Gilles Bloch, ce constat d’un regroupement au « point mort » est cependant « exagéré », de même que l’idée que prévaudraient deux modèles irréconciliables entre grandes écoles et universités lui apparaît quelque peu « caricaturale ». « Nous sommes dans une nouvelle dynamique, rappelle-t-il au Monde. Les membres travaillent actuellement à un projet pour aller plus loin - universités et grandes écoles. » Il reconnaît cependant un blocage avec les écoles de la Défense - l’X et l’Ensta - qui ont, conformément aux directives de leur tutelle, décidé de faire bande à part.

La nouvelle feuille de route, validée par Matignon en décembre dernier, a en effet ouvert la voie à un modèle à deux vitesses, certains établissements pouvant rester dans le regroupement actuel, légèrement resserré, quand d’autres pourront avancer vers un modèle de rapprochement plus fort. Un groupe de travail, porté par des représentants de l’université Paris-Sud, de CentraleSupélec, de l’Ensae ParisTech, de l’ENS Cachan, du CEA, du CNRS et de l’INRA, prépare actuellement un projet de modèle nouveau qui devrait être bouclé en mars. Chaque établissement décidera alors s’il y participe ou non, avant de redéposer cette feuille de route devant le jury international de l’IDEX en octobre prochain.

« Nous avons créé les conditions pour que cela avance de nouveau, avec ce modèle à deux cercles, espère le secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur, Thierry Mandon. Les écoles de la Défense ne souhaitent pas y participer pour l’instant, mais la porte restera ouverte. »