Un blessé arrive à l’hôpital après un attentat à Kaboul (Afghanistan), le 7 février. | WAKIL KOHSAR / AFP

Frapper des symboles d’un Etat afghan déjà en piteux état, disséminer la peur en faisant le maximum de morts et de blessés, les insurgés ont poursuivi, mardi 7 février, leur travail de sape par une nouvelle attaque contre la Cour suprême, à Kaboul. Selon les autorités, une vingtaine de personnes sont mortes et une cinquantaine ont été blessées après une forte explosion perpétrée par un kamikaze venu à pied se mêler à la foule de visiteurs et d’employés à l’heure de la sortie des bureaux.

Une partie des victimes figurait parmi le public patientant pour récupérer leurs papiers d’identité et l’autre était constituée de personnels de la Cour suprême quittant l’édifice de quatre étages situé le long la route du Grand Massoud, l’une des principales artères menant à l’aéroport. La puissante déflagration a été entendue dans un large périmètre comprenant le quartier des ambassades, notamment celle des Etats-Unis, qui se trouve non loin du lieu de l’attentat. La lassitude se lisait sur les visages des forces de police et de secours déployés sur place. En dépit des condamnations de l’ONU et de Washington, la multiplication des attaques dans ce pays n’intéresse plus guère la communauté internationale.

Tensions ethniques

Le dernier attentat d’ampleur à Kaboul date du 10 janvier. Il avait visé une annexe du Parlement faisant 38 morts et quelque 80 blessés. La Cour suprême avait déjà été visée en juin 2013 par un attentat qui avait fait quinze morts et une quarantaine de blessés. Le mouvement taliban avait revendiqué l’action, en représailles à la confirmation par cette instance de la condamnation à mort de six insurgés. Début décembre 2014, les talibans avaient abattu un haut fonctionnaire de la Cour suprême alors qu’il quittait son domicile. Mercredi matin, cette nouvelle attaque n’était toujours pas revendiquée.

La Cour suprême est perçue comme l’une des dernières autorités capables de sortir l’Afghanistan d’une profonde crise institutionnelle. En novembre, le président afghan, Ashraf Ghani, a ordonné à ses ministres limogés par le Parlement de rester à leurs postes et a saisi la Cour pour tenter de trouver une issue à l’impasse dans laquelle se trouve le pays. L’élection présidentielle de 2014 devait éloigner le pays du chaos. Ce fut le contraire. La gouvernance est paralysée par deux têtes, un président, M. Ghani, et un chef de l’exécutif, Abdullah Abdullah, liés par un pacte d’union nationale au point mort à cause de tensions ethniques et de rivalités claniques. Les élections générales, pour le Parlement, le Sénat, les provinces et les districts, devaient avoir lieu en 2015…

Déliquescence de l’Etat

C’est à la Cour suprême que M. Ghani, à peine désigné président, avait demandé, en octobre 2014, de réouvrir le dossier sensible visant les malversations liées à la Kabul Bank, symbole de la corruption endémique dans ce pays. Viser la Cour revient, enfin, à s’en prendre à la tête d’un système judiciaire fragile et embryonnaire concurrencé, sur une grande partie du territoire, par une justice talibane rendue par des juges souvent itinérants considérés par la population rurale comme plus efficaces et moins corrompus que ceux de l’Etat.

Selon un responsable de l’Ecole de la magistrature, à Kaboul, l’insécurité, les faibles revenus alloués aux magistrats, les problèmes de logement, les diverses pressions locales n’ont pas permis de renforcer l’Etat dans sa mission de justice. D’après cette même source, à peine un tiers des magistrats pourrait réellement remplir leur mission. Les juges paient, dans un grand silence, le prix, souvent de leur vie, de la déliquescence de l’Etat. Pour les talibans, l’enjeu symbolique est fort, il est d’apparaître, aux yeux de la population, comme les seuls en mesure d’apporter une véritable justice et de la faire appliquer.