Il existe, en théorie, deux filières d’accueil d’urgence : la généraliste, destinée aux personnes sans domicile à qui, selon le principe constitutionnel, la France doit un accueil inconditionnel et continu, et celle destinée aux réfugiés et demandeurs d’asile. Mais elles se confondent parfois, comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport annuel, paru mercredi 8 février, dont les auteurs reconnaissent, à mots couverts, une certaine concurrence entre public à la rue et migrants.

Pour l’accueil des personnes sans domicile – une compétence d’Etat – le gouvernement a, depuis 2012, consenti de gros efforts. Les crédits du programme « hébergement et logement adapté » (ligne 177 du budget de l’Etat) ont ainsi fortement augmenté, passant de 1,09 milliard d’euros, en 2012, à 1,44 milliard d’euros, en 2016, soit une hausse de 32 %.

Les places en centres d’hébergement d’urgence ou en centres de réinsertion sociale, les nuitées hôtelières pour, notamment, les familles, ont augmenté de 48 %, passant de 82 228, en 2012, à 120 000, en 2016, avec un confort bien amélioré, la suppression des dortoirs… Le logement accompagné, en résidences sociales ou pensions de famille, et l’intermédiation locative – c’est-à-dire la location dans le parc privé avec un accompagnement social – ne sont pas en reste, avec 215 750 places, en 2015, soit 67 % de plus qu’en 2012.

Saturation du dispositif

Le budget destiné aux demandeurs d’asile (ligne 303) a lui aussi bondi, entre 2012 et 2016, de 387 millions à 540 millions d’euros (+ 40 %), ce qui a permis de créer 12 000 places en centres d’accueil de demandeurs d’asile. Tandis que les 10 000 nouvelles places en centres d’accueil et d’orientation, où les migrants peuvent rester un mois, le temps de poser leur demande d’asile, ont été, elles, principalement financées par les crédits de l’hébergement d’urgence.

En dépit de tous ces efforts, « l’adaptation de l’offre d’hébergement reste globalement insuffisante », pour la Cour des comptes, l’accroissement de la pauvreté s’ajoutant à l’afflux de migrants pour expliquer l’embolie des dispositifs. Le nombre de demandeurs d’asile a progressé de 27 %, entre 2012 et 2015, pour atteindre 80 075 personnes, une tendance qui se prolonge au premier semestre 2016, avec une hausse de 15 %.

Faute de places, 40 % d’entre eux se retrouvent dans les structures généralistes plutôt que dans celles qui leur sont destinées. Si l’on ajoute les déboutés du droit d’asile qui se maintiennent sur le territoire, « cela a contribué à la saturation du dispositif d’hébergement d’urgence », établit le rapport.

« L’Etat a mobilisé tous les lieux possibles »

A Paris, la préfecture a, entre juin 2015 et août 2016, procédé à 27 évacuations de campements de rue et mis à l’abri 15 306 migrants. « L’Etat a mobilisé tous les lieux possibles : centres de formation professionnelle, hôtels, casernes… La région parisienne atteint désormais la limite des possibilités », estiment ces magistrats, pour qui « les services déconcentrés du ministère du logement sont de plus en plus absorbés par des tâches sortant de leur champ traditionnel. Ils ont ainsi, en 2016, beaucoup travaillé pour les migrants au détriment de leur mission de pilotage des dispositifs généralistes ».

La Cour des comptes appelle donc à un rééquilibrage de l’action publique, jugeant que « la pression de l’urgence ne doit pas conduire l’Etat à remettre en cause les actions appliquant le principe du logement d’abord. Ces actions sont moins coûteuses que la création de places d’hébergement d’urgence et permettent de sortir durablement de la précarité les personnes sans domicile ».