Mariano Rajoy à La Valette, le 3 février 2017. | ANDREAS SOLARO / AFP

Le Parti populaire espagnol (PP, droite) de Mariano Rajoy et la formation de gauche radicale Podemos tiennent leur congrès le week-end des 11 et 12 février. Alors que le premier aborde, serein, un rassemblement qui symbolise le contrôle absolu du chef du gouvernement sur son parti, sans turbulences ni divisions majeures, le second se déchire dans une lutte fratricide qui menace d’emporter la formation. Décryptage.

  • Quel est l’enjeu du congrès national du PP ?

Le parti de droite n’abordera aucune question majeure lors de son rassemblement. Mariano Rajoy, pragmatique, a écarté les débats idéologiques gênants, comme celui qu’avait voulu lancer la présidente de la région de Madrid, Cristina Cifuentes, représentante d’un centre-droit libéral, sur la gestation pour autrui (elle y est favorable) ; ou celui sur le droit à l’avortement, sur lequel les tenants d’un parti plus conservateur voudraient revenir.

Dans ce contexte, le congrès sera une démonstration de force et d’unité autour de Mariano Rajoy, qui n’affrontera aucun opposant. Plus de 200 invités d’une soixantaine de pays viendront d’ailleurs voir de plus près le « miracle Rajoy », réélu en 2016 malgré les affaires de corruption qui touchent le PP, sa politique d’austérité et l’apparition de nouveaux partis, comme Podemos et le parti libéral centriste Ciudadanos. Ce dernier, qui menaçait de ravir des voix à la droite, est en voie de vampirisation par le PP, qui a obtenu son soutien pour gouverner.

  • Quel est le poids des courants critiques de la gestion de Mariano Rajoy ?

M. Rajoy, président de la formation depuis 2003, a bien des détracteurs. Mais en ordre dispersé, soumis à la discipline de fer du parti, ils font profil bas. Il n’existe au sein du PP aucun courant dissident structuré, malgré un spectre électoral très large qui va de la droite ultraconservatrice au centre-droit social-libéral. Pis, ses ennemis internes, comme l’ancienne présidente de la région de Madrid Esperanza Aguirre, se sont lassés de l’imperméabilité aux critiques du chef du gouvernement.

L’ancien président du gouvernement, José Maria Aznar, a quant à lui renoncé à la présidence d’honneur du parti en décembre 2016, voyant M. Rajoy insensible à ses thèses néoconservatrices. Il lui reprochait ouvertement la mollesse et la perte de valeurs du PP, s’indignant des augmentations d’impôts, de l’abandon de la défense de modèles de famille « traditionnels » ou de la passivité face aux indépendantistes catalans.

Alors que l’Espagne affiche une croissance insolente – 3,2 % en 2016 – et un rythme soutenu de création d’emplois – certes de plus en plus précaires –, Mariano Rajoy se pose en garant de la stabilité du pays face à une gauche déchirée, le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) se trouvant divisé et même décapité, dirigé par un cabinet intérimaire, et Podemos se livrant à une guerre interne qui menace la continuité même de son projet.

  • Quel est l’enjeu de l’« assemblée citoyenne » de Podemos ?

Jusqu’à samedi 11 février, les militants de Podemos sont appelés à voter pour choisir séparément leur chef de file et le conseil citoyen (l’organe de direction), et les « documents » qui régiront le parti, divisés en quatre groupes : politique, organisation, éthique et égalité homme-femme. En somme, le chemin que prendra la formation dans les prochaines années.

  • Qui sont les protagonistes ?

Le chef de file de Podemos, Pablo Iglesias, le tribun charismatique, affronte son numéro deux, Iñigo Errejon, directeur de toutes les campagnes électorales et stratège de la formation. Les deux amis de jeunesse, compagnons de lutte politique, ont présenté leurs propres listes au conseil citoyen – formé de 62 membres – et leurs propres documents. M. Errejon ne dispute pas la place de secrétaire général à Pablo Iglesias, et appelle même à voter pour lui. Mais le leader de Podemos a avancé que s’il perdait la bataille des idées et des personnes, il abandonnerait la tête de la formation. Le tandem complémentaire qui a fait la force de Podemos est brisé.

S’y ajoute le courant anticapitaliste, beaucoup plus minoritaire, défenseur d’un parti plus horizontal, récupérant l’idée d’un mouvement populaire, déléguant un grand pouvoir de décision à des assemblées de militants.

Pablo Iglesias (au centre) et Iñigo Errejon (à droite), à Madrid, le 22 janvier 2016. | GERARD JULIEN,GERARD JULIEN / AFP

  • Quelles sont les principales divergences idéologiques au sein de Podemos ?

Pablo Iglesias, ancien militant des Jeunesses communistes, qui lève le poing lors des manifestations, et Iñigo Errejon, ex-anarchiste qui brandit le « V de la victoire » lors des meetings, défendent en théorie les mêmes objectifs : faire de Podemos un parti majoritaire et « transversal » – capable de gouverner en dépassant les clivages droite-gauche – pour incarner le « peuple » face aux « oligarchies », suivant le modèle des mouvements national-populaires d’Amérique latine. Leur différence tient moins à l’idéologie qu’à la stratégie politique.

  • Quelle est la stratégie défendue par Iñigo Errejon ?

Pour M. Errejon, il faut « construire le peuple » à partir de nouvelles références et frontières partagées par « ceux d’en bas », les classes populaires et les classes moyennes appauvries par les politiques d’austérité. Pour cela, il faut abandonner la rhétorique propre à l’extrême gauche et « rassurer ceux qui ne votent pas encore [pour eux] » en se montrant comme un « parti d’ordre », une force « transformatrice », « utile » au Parlement, et en dialoguant avec les socialistes pour « acculer Mariano Rajoy », qui gouverne en minorité.

  • Quelle est la tactique de Pablo Iglesias ?

Le leader de Podemos entend « faire peur aux élites » en réveillant les mouvements sociaux. Il a récupéré ces derniers mois l’esthétique et la culture de l’extrême gauche, arborant ses vieilles luttes et symboles traditionnels et laissant transpirer la rancœur héritée des luttes passées de la gauche espagnole. Ses relations avec les socialistes sont exécrables. Il est à l’origine de l’alliance électorale entre les néocommunistes de la Gauche unie (IU) et Podemos, avant les élections législatives de juin 2016, très critiquée par M. Errejon et dont le résultat a été négatif : la coalition Unidos Podemos a perdu un million d’électeurs. Par ailleurs, s’appuyant sur la structure très verticale de Podemos, il a écarté des postes de décision plusieurs « errejonistes », ce que ses détracteurs ont comparé à une purge.

Tous s’accordent pour dire de l’assemblée citoyenne est cruciale. Selon M. Errejon, la vocation transversale et majoritaire de Podemos est en danger. Ses proches craignent que la formation devienne une refonte d’un parti communiste traditionnel. Au contraire, M. Iglesias pense que c’est l’adoucissement du message et l’institutionnalisation du parti qui lui fait du tort. La division est telle qu’une implosion de Podemos n’est pas impossible.