Manifestation le 6 février à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). | FRANCOIS GUILLOT / AFP

Editorial du « Monde ». Entre la police et les jeunes, en particulier ceux des quartiers les plus déshérités, la confrontation paraît sans fin et sans issue. Régulièrement, le feuilleton de ces tensions quotidiennes, de ces contrôles d’identité qui dérapent, de ces provocations qui dégénèrent, est scandé par une explosion de violence aussi accablante que révoltante.

Le 2 février, dans la cité des 3000, à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), c’est le jeune Théo L., 22 ans, qui est gravement blessé, alors que quatre policiers procèdent à son interpellation. Les coups de matraque qu’il reçoit lui laissent une plaie de dix centimètres de profondeur dans la zone rectale. En dépit des appels au calme de la victime, de sa famille, du maire d’Aulnay, les banlieues alentour menacent de s’embraser.

Quatre mois plus tôt, le 8 octobre 2016, à Viry-Châtillon (Essonne), quatre policiers en surveillance sont violemment agressés par une quinzaine de jeunes qui incendient leur voiture à coups de cocktails Molotov. Un adjoint de sécurité est sérieusement brûlé. Pendant des semaines, les policiers manifestent leur colère devant les commissariats de France et de Navarre.

Le 19 juillet 2016 encore, à la suite de son interpellation, Adama Traoré, 24 ans, meurt dans la gendarmerie de Persan (Oise) dans des conditions toujours inexpliquées.

A chaque fois, le pays s’enflamme pendant quelques jours, les médias auscultent ce profond malaise, les sociologues tentent de décrypter cette fracture ouverte, les spécialistes rappellent les précédentes éruptions de violence – ces trois semaines d’émeutes urbaines de 2005, à la suite du drame de Clichy-sous-Bois, où deux adolescents avaient trouvé la mort, l’embrasement plus ancien des Minguettes, dans la banlieue de Lyon. Et puis chacun détourne le regard, la situation revient à la « normale », celle d’une tension latente mais permanente. En attendant le prochain « fait divers », la prochaine « bavure ».

Une occasion perdue

Comme si cet engrenage était irrémédiable. On en connaît les causes. Des banlieues minées par le chômage, la relégation et les inégalités. Des concentrations de populations d’origine immigrée qui favorisent les communautarismes et rendent de plus en plus difficile leur intégration. Une économie souterraine dont les trafics, de drogue notamment, sont le moteur. Des policiers trop peu nombreux, mal équipés, envoyés dès le lendemain de leur formation dans les quartiers les plus difficiles ; et, qui plus est, désormais mobilisés par la lutte contre le terrorisme.

Mais aussi, et en premier lieu, la responsabilité, ou plutôt l’irresponsabilité, des responsables politiques. En abandonnant, en 2002, la mise en place d’une police de « proximité », de médiation et de prévention, la droite a donné libre cours à une philosophie de la confrontation. En renonçant, sous la pression des policiers, à sa promesse du « récépissé » lors des contrôles d’identité, destinée à en limiter la répétition absurde et discriminatoire, la gauche a perdu une belle occasion d’apaiser la situation.

Au bout du compte, la France est le pays d’Europe où la confiance de la population dans sa police est la plus faible et où la défiance des policiers envers les citoyens est la plus forte. La campagne présidentielle devrait être l’occasion d’un grand débat public pour chercher les moyens de désamorcer cette redoutable machine à fabriquer du ressentiment. Pour l’heure, elle l’esquive. Aux risques et périls de la prochaine majorité.