Téléfilm sur Arte à 20 h 55

Janina Fautz (Sarah) et Mehdi Nebbou (Paul) | ester reglin film/M. V. Menke

Paul (Mehdi Nebbou), divorcé de sa femme après de longues années de mariage difficiles, conduit leur fille Sarah (Janina Fautz) en camp de vacances. A l’arrière de la voiture, l’adolescente, moue boudeuse, demande à son père de prendre en chemin sa meilleure amie, Charlie (Marie Bendig), qui, selon ses dires, part elle aussi au camp. Paul accepte. En route, les deux gamines ne tardent pas à s’embrouiller. Lors d’un bref arrêt en lisière de forêt, elles sortent du véhicule, s’éloignent, puis disparaissent. Quand Paul retrouve leurs traces, il est trop tard. Du haut d’un barrage, Sarah a poussé son amie dans le vide.

Le temps d’exposition du drame est court. Il se joue en une dizaine de minutes, ce qui suffit cependant à nous faire pressentir les indices qui y ont conduit et les enjeux qu’il comporte. La colère de Sarah qui n’a jamais supporté la séparation de ses parents, sa violence à peine contenue, érigée pour faire rempart à ses fragilités, crée dès le début une tension qui annonce l’accident. Quand celui-ci advient, il sidère le père autant qu’il semble libérer sa fille. De fait, c’est bel et bien sur les parents que va désormais peser le crime. Les sidérer d’abord, les soumettre à la crainte viscérale de perdre leur fille, puis les décider à tout mettre en œuvre pour la préserver.

Paul et Christine vont ainsi décider de camoufler le meurtre et de soutenir, ensemble, Sarah – sans états d’âme, ravie de voir enfin ses parents réunis autour d’elle. Mais, quand le père de Charlie tente d’en savoir plus sur ce qu’il s’est passé au barrage, il devient difficile de mentir et d’échapper aux questions de la police.

Aucune échappatoire

Jusqu’où est-on prêt à aller pour protéger son enfant ? Et soi-même ? Que devient la morale dans des circonstances extraordinaires ? Telles sont les principales questions que soulève sans avoir l’air d’y toucher le téléfilm de Sebastian Ko. Mais l’essentiel n’est pas là. Il est dans l’étude des personnages soumis à une pression qui risque à tout moment de les faire exploser. Sarah, gamine insaisissable, agaçante et émouvante, à la fois manipulatrice et chancelante, crée durant toute la durée de la fiction un malaise qui, loin de se dissiper à la fin, se charge au contraire d’une dimension supplémentaire.

Face à elle, ses parents qui règlent leurs comptes en même temps qu’ils se rapprochent, tiennent sur un fil qui lui aussi risque de lâcher. Ce traitement des personnages – que le réalisateur se plaît régulièrement à filmer perdus au milieu de plans larges ou en plongée, les rapetissant et les écrasant comme des fourmis prises au piège des événements – place le téléspectateur au cœur même de leur déséquilibre. Par ce biais, Sébastien Ko ne nous octroie, à l’image des protagonistes pris au collet, aucune échappatoire.

Il en va de même au moment où le récit prend un virage dont on ne peut divulguer la teneur – suspense oblige. Impossible de se détacher d’une série d’actions à laquelle chacun se soumet par instinct de survie. C’est la grande réussite de Monstres ordinaires – et des acteurs qui portent leur rôle avec une intensité peu ordinaire – que de ne pas nous lâcher. Et de nous mener vers une intrigue de plus en plus dérangeante où le bien et le mal se brouillent jusqu’à ce point ultime où tous nous apparaissent comme des monstres ordinaires.

Monstres ordinaires, de Sebastian Ko. Avec Mehdi Nebbou, Ulrike C. Tscharre, Janina Fautz (All., 2014, 90 min).