Editorial du « Monde ». Chaque jour qui passe, Israël rend plus difficile la création d’un Etat palestinien à ses côtés. Cela ne veut pas dire que les dirigeants palestiniens soient sans reproche : ceux du Hamas à Gaza ne pensent qu’à guerroyer et à s’équiper en missiles ; ceux du Fatah de Mahmoud Abbas, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, sont en mal de légitimité. Mais la partie israélienne, la plus forte à tous points de vue, celle qui devrait donner l’exemple, celle qui prétend se comporter de manière responsable, mine le chemin de la paix. C’est tragique.

Le dernier épisode de cette politique à courte vue a eu lieu lundi 6 février à la Knesset, le Parlement, à Jérusalem. Les députés de droite et d’extrême droite, formant la majorité de Benyamin Nétanyahou, ont légalisé l’expropriation de terres privées palestiniennes au profit des colons israéliens. Ce n’est pas seulement une injustice en soi. C’est une tentative pour imposer la loi israélienne en terre étrangère – c’est-à-dire un pas vers l’annexion de la Cisjordanie, territoire qu’Israël occupe depuis juin 1967.

Le « parti des colons » est plus fort que jamais au sein de la majorité actuelle, représenté à la fois par une large fraction du Likoud (la formation de M. Nétanyahou) et par le parti Foyer juif du ministre de l’éducation, Naftali Bennett. Ils ne veulent pas d’Etat palestinien. Ils entendent annexer au moins 60 % de la Cisjordanie et la coloniser massivement. Cette génération est ignorante de l’histoire de son propre pays.

Des temps sans mémoire

Le fondateur de l’Etat, David Ben Gourion (1886-1973), jugeait qu’il fallait échanger Gaza et la Cisjordanie – les territoires occupés à la suite de la guerre israélo-arabe de 1967 – contre la paix. L’équilibre humain et géographique du pays supposait, selon Ben Gourion, de peupler le Néguev, ce désert du sud du pays. Le Néguev est toujours vide, et la droite israélienne s’en moque. Plus tard, le premier ministre travailliste Yitzhak Rabin, autre vrai homme d’Etat, dira que les colonies sont « un danger pour Israël », menaçant à terme l’idéal du projet sioniste – un Etat démocratique, majoritairement juif. Né en 1922, Rabin a été assassiné le 4 novembre 1995 par un extrémiste juif résolument partisan de la colonisation de la Cisjordanie.

Mais, en ces temps sans mémoire, tout cela est oublié. Et, aujourd’hui, la Knesset légalise, a posteriori, quelque 3 500 logements illégaux, situés dans des dizaines de colonies de Cisjordanie, construits sans autorisation officielle mais protégés par l’armée et bénéficiant de financements publics (comme toutes les implantations en territoire palestinien). Les propriétaires palestiniens, dit la loi, doivent recevoir une compensation en argent ou sous forme de lot de terrain alternatif.

Le symbole est là : les députés légifèrent en dehors du territoire israélien. La direction pointée est claire : le début de l’annexion, l’abandon de l’idée même d’un Etat palestinien. Mais la partie n’est pas finie. La Cour suprême doit être saisie, incessamment. Le procureur de l’Etat, Avichai Mandelblit, s’est prononcé contre cette loi. Le pouvoir judiciaire s’oppose à la droite israélienne et pourrait bien l’emporter. A Washington, l’administration Trump a fait connaître son mécontentement. L’Union européenne a annulé une rencontre avec Israël. Comme si chacun sentait bien – enfin – le danger que représente une politique dont le résultat sera de rendre la paix plus impossible que jamais.