Emmanuel Kerner

Les temps changent mais les institutions juridiques et administratives peinent à se moderniser. Malgré tout, quelques évolutions sont à souligner, que ce soit dans la magistrature, pour intégrer l’ENM, dans les écoles d’avocats ou dans l’administration pénitentiaire, à l’entrée à l’ENAP.

  • La magistrature ouvre grand ses portes

Après plusieurs années de disette, la magistrature recrute à tours de bras pour compenser la vague de départs à la retraite de juges. L’Ecole nationale de la magistrature (ENM), sise à Bordeaux, a ainsi offert 282 postes aux trois concours d’accès à l’ENM en 2016. C’est trois fois plus qu’il y a six ans, mais le nombre de candidats a également augmenté.

Réservé aux étudiants de moins de 31 ans, le premier concours d’accès à l’ENM, étalé de juin à décembre, est l’un des plus longs et difficiles. Et il ne suffit pas d’être une bête à concours pour réussir. « La magistrature est une vocation. Il faut des qualités humaines et être à l’écoute des maux de la société », rappelle Olivier Leurent, directeur de l’école.

Multiplier les expériences professionnelles durant sa scolarité est l’une des clés de la réussite. « Les stages au sein de l’administration judiciaire mais aussi dans des associations sont valorisés, précise le directeur de l’école. Ils révèlent des qualités, une personnalité et témoignent d’une capacité à s’investir. » Des expériences indispensables pour que l’aventure soit concluante car, si le concours est ouvert aux titulaires d’un master 1, la majorité des participants ont un master 2 et parfois plusieurs mois d’expérience professionnelle. Dans les faits, sur les 246 admis au premier concours, 206 sont titulaires d’un master 2 et 212 ont fait un ou plusieurs stages en juridiction.

« “Qu’attendez-vous de vos fonctions de magistrat ?” ; “Qu’avez-vous tiré de vos expériences professionnelles ?” ; “Quelle est votre motivation ?” »

Un passage obligé pour réussir le grand oral, l’épreuve la plus redoutée [coefficient 6], une fois passée la barrière des épreuves écrites, où l’écrémage est le plus important. « “Qu’attendez-vous de vos fonctions de magistrat ?” ; “Qu’avez-vous tiré de vos expériences professionnelles ?” ; “Quelle est votre motivation ?” Il faut prendre le temps de mûrir les réponses à ces questions régulièrement posées lors du grand oral », conseille Cassandre Guillé, « auditrice de justice » (comprendre élève magistrate) de la promotion 2016. La jeune femme a réussi le concours au bout de la deuxième tentative. « La première fois, je raisonnais de manière trop universitaire et manquais de méthodologie, confesse-t-elle. Je me suis inscrite à un stage d’observation de six mois, proposé par l’ENM, au sein du tribunal de grande instance de Rennes. J’assistais aux audiences et j’ai ainsi pu me confronter à la réalité du métier pour arriver fin prête à l’oral. » Par ailleurs, sur la dernière promotion, 70 élèves magistrats ont été assistants de justice dans un tribunal ou une cour d’appel. Une immersion rémunérée de deux jours par semaine qui permet d’appréhender les différences facettes du métier. D’appréhender seulement, car ils n’ont pas de pouvoir juridictionnel. Les assistants de justice prêtent serment, font des recherches documentaires et rédigent des notes sur des dossiers importants. Une expérience riche qui permet de tester sa motivation.

  • Un examen unique pour les écoles d’avocats

Le changement, c’est en septembre 2017 ! La porte d’entrée vers le métier d’avocat est désormais la même pour tous. Il n’y a donc plus d’examens élaborés par chacun des 44 instituts judiciaires (IEJ). A la rentrée, tous les étudiants désireux d’intégrer une école d’avocat plancheront, pour les épreuves d’admissibilité, sur des sujets nationaux, soumis à une même grille de correction.

Un changement de taille, puisque chaque année, près de 14 000 étudiants préparent l’examen d’entrée au Centre régional de formation professionnelle des avocats (CRFPA) à l’issue de leur master, pour environ 3 500 à 3 800 reçus qui intègrent l’une des onze écoles d’avocats réparties sur le territoire. Le CRFPA les prépare ensuite, en dix-huit mois, à décrocher le certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA), aussi appelé « examen du barreau ». Si les IEJ restent responsables de la correction des épreuves ainsi que de la composition du jury, les matières au programme des oraux d’admission seront définies au niveau national. En filigrane de cette réforme, portée par le secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur Thierry Mandon : une volonté d’harmoniser les disparités d’admission entre les différentes régions.

Organisé par les IEJ, l’examen s’ouvrira sur quatre épreuves écrites : une note de synthèse – qui existe déjà ; une épreuve de droit – avec, au choix : droit civil, droit des affaires, droit pénal, droit social, droit administratif et droit international et européen, et une épreuve de procédure civile, pénale ou de contentieux administratif. Précisons que les épreuves de droit et de procédure vont de pair. Ainsi, un étudiant choisissant l’épreuve de droit civil devra passer l’épreuve de procédure civile.

Pour ceux qui passent sous les fourches Caudines des écrits, les épreuves d’admission changent également. Elles comprendront deux oraux : un oral de langue et un grand oral de droit et libertés fondamentales. Le nouvel examen suivra un calendrier national. Les écrits auront lieu le 1er septembre de chaque année et les oraux le 2 novembre. Les résultats seront communiqués le 1er décembre pour tous les IEJ.

  • Recrutement record à l’école d’administration pénitentiaire

« Vous verrez, ce n’est pas simple. Les conditions [de travail] ne sont faciles pour personne. Il y a un taux de surencombrement de 206 %. Plus de 2 850 personnes sont détenues pour un peu moins de 1 400 places. Mais quelles que soient les conditions de dureté du milieu carcéral, il faut toujours avoir à l’esprit qu’il faut faire son métier avec humanité. » Le mot d’accueil de Philippe Obligis, chef d’établissement de la prison de Fresnes (Val-de-Marne), adressé aux surveillants pénitentiaires stagiaires tout droit sortis de l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire (Enap), fait frémir. Après six mois de formation et deux mois de stages, 88 élèves de l’école ont fait leur rentrée, lundi 16 janvier, au sein du centre pénitentiaire construit en 1895.

Début 2016, une campagne de communication a été lancée pour recruter 2 400 agents pour l’année afin de combler le déficit de personnel.

Attirés « par la sécurité de l’emploi », et la « possibilité d’évolution et de reconversion » au sein de plusieurs unités spécialisées, tous ont réussi le concours d’entrée, composé d’un écrit sous forme de questionnaire à choix multiples, d’une épreuve sportive et d’un oral face à un jury. Si certains « appréhendent » le contact avec les détenus, d’autres, plus sereins, « ont hâte de rejoindre les coursives de la prison ». Début 2016, une campagne de communication a été lancée pour recruter 2 400 agents pour l’année afin de combler le déficit de personnel. Ils ont été 2 150 à suivre cette formation en 2016, et 2 500 sont attendus en 2017. Un record. « Attention à bien savoir ou vous mettez les pieds, tempère un surveillant formateur. Car derrière le vernis, la réalité est violente. »