Jean-Claude Juncker, en novembre 2014, au Parlement européen, à Strasbourg. | VINCENT KESSLER / REUTERS

Editorial du « Monde ». Il renonce. Epuisé. Jean-Claude Juncker a annoncé, dimanche 12 février, qu’il ne briguerait pas de second mandat à la tête de la Commission de Bruxelles après les élections européennes de 2019. Certes, l’ancien premier ministre luxembourgeois, âgé de 62 ans, n’en est qu’à mi-mandat. Mais cette renonciation sonne comme un aveu d’impuissance. Il faut se garder de critiquer à l’excès la Commission actuelle. Elle ne s’est pas si mal débrouillée, surtout si l’on compare son action à celle dirigée par son prédécesseur, le conservateur portugais José Manuel Barroso.

Juncker, ce sont trois paradoxes. On l’accuse d’avoir fait du Grand-Duché la plaque tournante de l’évasion fiscale, lorsqu’il en était premier ministre. C’est vrai mais, avec le zèle des nouveaux convertis, Juncker a fait la chasse aux paradis fiscaux en Europe depuis son arrivée à Bruxelles, tandis que sa commissaire à la concurrence, la Danoise Margrethe Vestager, a utilisé avec intelligence la loi sur les aides d’Etat pour forcer Apple à payer des impôts en Irlande.

Dans le camp social-démocrate

Deuxième paradoxe : on accuse la Commission d’être technocratique est froide. Nul n’est plus politique que Juncker. Aidé du socialiste français Pierre Moscovici, il a rompu avec l’approche mécanique de pacte de stabilité qui fixe les règles de l’euro. Il suffit de lire les critiques de Wolfgang Schäuble, ministre allemand des finances, à son encontre pour comprendre que Juncker n’est pas un partisan de l’austérité.

Enfin, Jean-Claude Juncker serait un pion d’Angela Merkel. Il a en effet été nommé après que sa formation, le Parti populaire européen, a remporté les élections européennes de 2014. En réalité, il n’en est rien. Le chrétien-social Juncker appartient dans son cœur et dans ses actions au camp social-démocrate – François Hollande et Angela Merkel en conviennent tous deux très sérieusement. Ce Luxembourgeois qui parle français avec une syntaxe allemande connaissait trop bien l’Europe des fondateurs, bâtie sur le couple franco-allemand, pour devenir un suppôt de l’Europe germanique.

Juncker dirige donc depuis 2014 une Commission plus politique, moins conservatrice, moins technocratique et moins allemande… Et pourtant, cela ne suffit pas. L’Europe, qui célèbre actuellement les 25 ans du traité de Maastricht, qui lança l’euro, et les 60 ans du traité de Rome, qui créa le Marché commun, n’est pas seulement difficile, mais impossible.

Un monde finissant

L’euro reste en sursis : de plan de sauvetage en réformes intérieures, la crise grecque est insoluble. Il faudrait effacer une partie de sa dette, mais l’indispensable approbation du Bundestag allemand est inenvisageable, à horizon prévisible. Quant à la négociation avec le Royaume-Uni, elle s’annonce longue et délétère. Le calme actuel s’explique uniquement par l’absence de négociations.

Enfin, Juncker a vécu le traumatisme de la guerre en Irak de 2003, qui scella une alliance déstabilisante entre Washington et l’Europe de la périphérie contre celle des fondateurs : l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche et la progression inexorable des populistes sur le Vieux Continent ont toutes les chances de faire renaître cette grave crise existentielle.

Le monde de Juncker, qui participa dès la fin des années 1980 aux négociations de Maastricht en tant que jeune ministre des finances, est finissant. Une nouvelle génération doit le remplacer. Avec un œil neuf, sans avoir la mémoire des mille compromis scellés depuis un quart de siècle à Bruxelles et qui font que l’impasse semble totale.