Une délégation de soldats mutins le 7 janvier à Bouaké, après l’annonce par le président Alassane Ouattara d’un accord pour leur payer des primes. | SIA KAMBOU / AFP

« Nous avons écrit qu’il y aurait bien eu un accord secret avec les Forces spéciales pour le paiement d’une prime de 17 millions de francs CFA (25 916 euros) à chaque élément de cette unité d’élite. C’est l’information qui nous vaut des déboires, parce que le gouvernement affirmait le contraire ». Ferdinand Bailly, journaliste au groupe Cyclone à Abidjan (éditeur des quotidiens d’opposition Le Temps et LG Infos) est encore épuisé par une journée marathon mardi 14 février entre les mains de la justice et de la police, qui aurait pu le conduire à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA). Mais il préfère en garder un bon souvenir.

« C’est une expérience qu’il fallait vivre pour comprendre ce qui se passe de l’autre côté », se console M. Bailly, quelque peu amaigri et contraint à un repos de plusieurs jours.

48 heures de ballottage

Arrêté le 12 février avec cinq autres confrères pour « divulgation de fausses informations et incitation à la révolte » après la mutinerie des Forces spéciales ivoiriennes à Adiaké, dans le sud-est du pays, Ferdinand Bailly a été ballotté pendant près de 48 heures entre la Brigade de recherches de la gendarmerie d’Abidjan, le parquet général et le camp de gendarmerie d’Agban, le plus grand du pays, où il a passé deux nuits dans une cellule de 6 m2, sur une grosse natte.

Les éléments des Forces spéciales ivoiriennes s’étaient mutinés au début février pour réclamer des primes. Ils avaient mis fin à leur mouvement deux jours plus tard. Cette unité d’élite est directement engagée dans la sécurité rapprochée du président ivoirien Alassane Ouattara. Début janvier, la Côte d’Ivoire avait été secouée par une mutinerie d’anciens rebelles intégrés dans l’armée, qui avaient paralysé plusieurs villes pour réclamer le paiement de primes. En répondant à leurs revendications par le versement de primes de 8 500 euros par personne, les autorités avaient provoqué la colère de militaires et gendarmes non concernés par cet accord, qui s’étaient à leur tour mutinés. Des affrontements avaient fait quatre morts à Yamoussoukro.

Ferdinand Bailly, traditionnellement adepte des faits divers carcéraux, a vécu pour la première fois les péripéties d’un bandit de grand chemin.

Camion de transport des prisonniers

« Nous n’avions pas l’assistance d’un avocat et c’était inquiétant. C’est seulement à la Brigade de recherches que celui-ci a pu nous rendre visite, le deuxième jour de notre détention. Malheureusement, il n’a pas pu suivre le dossier lorsque nous étions au parquet. A ce moment-là, il y avait une frayeur, parce que nous étions aux portes de la MACA », se souvient M. Bailly.

Un sentiment qu’a également vécu Vamara Coulibaly, directeur du publication du groupe Olympique, éditeur des quotidiens indépendants Soir Info et l’Inter, dont le correspondant dans la région d’Adiaké est à l’origine de l’article incriminé sur le supposé accord conclu entre le gouvernement et les Forces spéciales. « Chaque fois que le procureur posait la question de savoir si le camion de transport des prisonniers (Air MACA) était retourné à la prison et que la réponse était non, nous devenions silencieux. On souhaitait qu’il parte sans nous », raconte M. Coulibaly.

Préoccupés par l’état de santé précaire de leur confrère Mamadou Bamba Franck, directeur de publication du quotidien Notre Voie, les journalistes ont finalement repris confiance grâce à la mobilisation des organisations professionnelles des journalistes et de celle de la société civile, dont des membres étaient rassemblés en grand nombre dans la cour du tribunal d’Abidjan. Plusieurs associations de journalistes, nationales et internationales, avaient protesté contre ces arrestations, déplorant une « atteinte flagrante à la liberté de la presse ». L’ONG Reporters sans frontières (RSF) s’est déclarée mardi 14 février « inquiète » de la détention des six journalistes ivoiriens, et a demandé leur « libération immédiate ».

« En voyant nos amis, nous savions que la justice ne pouvait pas aller plus loin, même après nous avoir présenté nos mandats de dépôt signés du procureur », soutient M. Bailly.

Selon le procureur de la république, Richard Adou, l’arrestation de ces journalistes était liée « aux récents mouvements d’humeur des militaires » au cours desquels, « certains organes de presse ont divulgué de fausses informations de nature à inciter les soldats à la révolte ».

Libérés en fin de journée mardi 14 février, les six journalistes entendent désormais se battre jusqu’à l’abandon définitif des poursuites à leur encontre. Les délits dont ils sont accusés sont « diffusion de fausses informations », « divulgation du secret défense » et « incitation à la révolte ». « On ne peut pas emprisonner la liberté, réagit Yacouba Gbané, du groupe Cyclone. Nous sommes de retour et le combat continue ».