Le sujet, jusqu’à présent, n’a pas occupé le devant des débats de la campagne présidentielle, il est vrai riche en rebondissements politiques occultant les enjeux programmatiques. Aussi l’Institut de l’entreprise, think tank proche des milieux patronaux, se rappelle-t-il au bon souvenir des candidats en lançant un cri d’alerte sur la dépense publique, ce « mal français », estime-t-il, en rappelant que le budget de l’Etat est continûment déficitaire depuis 1974.

Coordonné par l’ancien président de BNP Paribas Michel Pébereau, l’épais document présenté mercredi 15 février alerte sur la « situation alarmante de nos finances publiques ». Nombre de ses constats ou analyses recoupent les régulières mises en garde adressées par la Cour des comptes ou le Haut Conseil des finances publiques. Il se focalise sur le niveau de la dépense publique, qui a atteint 57 % du produit intérieur brut (PIB) en 2015, au deuxième rang de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) derrière la Finlande, contre une moyenne de 48,5 points dans la zone euro.

Si des économies substantielles ont été réalisées ces dernières années par rapport à l’augmentation spontanée de la dépense publique – de l’ordre de 40 milliards d’euros entre 2015 et 2017 –, elle n’a malgré tout cessé de croître en volume. L’institut fixe comme objectif de rapprocher le niveau de la dépense publique en France de celui de la moyenne européenne, en le ramenant à 50 % du PIB. Ce « rappel à l’ordre » à dix semaines du premier tour de l’élection présidentielle a une portée éminemment politique. Il est également relayé par le président du Medef, Pierre Gattaz, qui, dans un entretien au Figaro du 14 février, estime que, « la mère de toutes les réformes (…), c’est la diminution des dépenses publiques ».

Pour ou contre le cadrage financier ?

La droite semble avoir fait sien ce credo. Dans son cadrage financier présenté en septembre 2016, François Fillon prévoyait de réaliser 100 milliards d’euros d’économies en cinq ans, pour ramener le niveau de la dépense publique à 49 % du PIB en 2022, toutes les administrations (Etat, collectivités territoriales, Sécurité sociale) étant appelées à en prendre leur part. Parmi ses propositions de « redressement » économique : le passage à 65 ans de l’âge de la retraite à taux plein (20 milliards), la réforme des soins pris en charge par l’assurance maladie (20 milliards), la dégressivité et le plafonnement des allocations chômage (10 milliards), le passage du temps de travail à 39 heures dans les trois fonctions publiques et la réduction de 500 000 du nombre de fonctionnaires (20 milliards).

Début février, la candidate du Front national, Marine Le Pen, a elle aussi présenté l’économie générale de son projet. Celui-ci prévoit de ramener le niveau de la dépense publique à 53,4 % du PIB en 2022. Un objectif bien improbable, toutefois, au vu de l’addition vertigineuse des promesses comprises dans son programme, qui entraîneraient au bas mot une centaine de milliards d’euros de dépenses supplémentaires.

Emmanuel Macron, quant à lui, a prévu de dévoiler le cadrage économique et budgétaire de son projet mercredi 22 février. Il est le seul candidat qui prévoie de maintenir le déficit public sous la barre des 3 % de PIB.

Les programmes respectifs de Benoît Hamon et de Jean-Luc Mélenchon ne proposent pas de cadrage financier. Le candidat du PS entend « forger une alliance interétatique, politique et sociétale pour imposer un moratoire sur le Pacte de stabilité et le TSCG », indique son site de campagne. Il juge en outre que « l’austérité est inefficace et contribue à augmenter la dette » et entend donc s’affranchir des règles budgétaires européennes « jusqu’à l’approbation d’un pacte de stabilité réformé ».

Quelle « méthode » ?

Pour le candidat de La France insoumise, qui dénonce l’« ordo-libéralisme de la Commission européenne », la priorité est de « sortir des traités européens » et de la « surveillance budgétaire des Etats, afin que les peuples décident eux-mêmes de la manière dont les impôts et cotisations sociales sont employés ». Pas question, par conséquent, de se plier aux contraintes d’une discipline budgétaire qui a pour objet d’« asservir les peuples ».

Pour l’Institut de l’entreprise, le poids des dépenses publiques entraîne des effets négatifs sur la croissance. M. Mélenchon conteste l’argument, qui trouve de nombreux partisans à gauche et a été source de débats internes à la majorité tout au long du quinquennat, selon lequel les politiques dites d’ajustement budgétaire, menées dans l’urgence, auraient un caractère récessif. A court terme, oui, du fait de la contraction de la dépense publique, convient-il, mais cela ne se vérifie pas à moyen et long terme. « Une baisse durable de dépense publique n’a jamais conduit à une baisse de la croissance potentielle », assure le rapport.

Un ensemble de propositions qui, à coup sûr, trouvera une oreille attentive du côté du candidat Fillon et de l’électorat de droite

Il considère que « lier le niveau de la dépense publique avec son efficacité constitue un contresens économique ». S’appuyant sur plusieurs études et comparaisons internationales, il met en exergue les marges d’efficience substantielles dans des domaines tels que la formation professionnelle, les politiques de l’emploi, le logement ou la santé.

Le dernier chapitre du rapport est consacré à la « méthode » pour engager durablement la baisse des dépenses publiques. Il critique la méthode jusque-là privilégiée par le gouvernement consistant à fixer des objectifs de réduction de la dépense par ministère concentrés sur les dépenses de fonctionnement. Pour l’institut, il faut explorer d’autres pistes.

Tout d’abord, réduire le périmètre d’intervention de l’Etat et abandonner certaines politiques publiques ; réorganiser les services de l’Etat ; réduire les dépenses d’intervention et les coûts de gestion des politiques publiques ; freiner les dépenses de retraite et d’assurance-chômage par de « nécessaires ajustements paramétriques » ; contractualiser avec les collectivités territoriales sur cinq ans une baisse progressive des effectifs et de leurs dépenses de fonctionnement.

Un ensemble de propositions qui, à coup sûr, trouvera une oreille attentive du côté du candidat Fillon et de l’électorat de droite. Le succès est moins assuré de l’autre côté de l’échiquier politique.