Les lecteurs du Monde.fr ont posé de nombreuses questions sur la décision du Parquet national financier (PNF) de poursuivre « les investigations » concernant François Fillon et son épouse.

ddd : Bonjour, pourriez-vous expliquer techniquement ce qui va se passer par la suite ? Le PNF va rendre un rapport (public ou non ?) afin soit d’ouvrir une information judiciaire ou le renvoyer directement vers le tribunal correctionnel. Y-a-t-il un ou plusieurs rapports ?

Franck Johannès : L’incertitude, après la publication du communiqué du PNF reste grande. Cette première déclaration publique du parquet national financier signifie trois choses :

Premier point : les enquêteurs ont rassemblé suffisamment d’éléments contre les époux Fillon pour qu’ils soient poursuivis pour « détournements [au pluriel] de fonds publics », « abus de bien sociaux » et « recels » de ces délits. Il n’y aura pas de « classement sans suite » de la procédure, comme c’est le cas pour 70 % des affaires dont les parquets français sont saisis.

Deuxième point : le communiqué vise à répondre aux accusations des avocats de François Fillon qui jugeaient les poursuites illégales : « La seule mission du parquet national financier est d’appliquer la loi, fondement du pacte démocratique », répond poliment Eliane Houlette, la chef du PNF. En clair : c’est béton en droit.

Troisième point : l’enquête policière n’est pas terminée. Les policiers ont remis le 15 février « les premiers résultats » de leurs investigations. Sous-titre : il y en a d’autres, qui demandent à être étayés.

Clèves : Quels sont les délais que l’on peut envisager pour en savoir plus sur ce volet judiciaire ? C’est en enjeu important pour la campagne de la présidentielle.

Il n’y a pas de délai pour une enquête préliminaire, conduite sous la seule autorité du parquet. Lorsque le PNF, au vu des conclusions définitives des enquêteurs, estimera l’enquête close, il prendra une décision. Le parquet, conformément à la loi, n’a pas à tenir compte d’un supposé « usage républicain » qui veut qu’on cesse toute enquête sur un candidat trois mois avant une élection.

Claire Sauvage : Est-ce que l’expression « en l’état » signifie que quelque chose pourrait quand même donner un classement sans suite ?

Probablement pas, sauf incroyable surprise. Les enquêteurs spécialisés de l’OCLCIFF (l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales) travaillent depuis vingt jours sur le dossier et n’ont rien découvert qui permette de le classer, et les avocats de Fillon n’ont pas pu fournir des pièces mettant hors de cause leur client.

Felix : N’y a t’il pas une question de prescription des délits reproches au regard de l’ancienneté des faits ?

Peut-être pour partie, mais il est à noter que les avocats de François Fillon n’ont jamais soulevé ce point.

Veronara : Comment se situe la plainte des avocats des époux Fillon dans cette décision ?

Il n’y a pas de plainte des avocats des époux Fillon, qui n’ont à ce jour pas accès au dossier. Ils se sont contentés d’une conférence de presse avec forte mise en scène médiatique, qui pèse peu au regard du code pénal.

Whistleblower : Comment analyser la forme négative du communiqué de presse qui évoque un non-recours au classement sans suite sans évoquer explicitement les suites de l’affaire ?

Le communiqué n’a pas de forme uniquement négative. Il indique clairement que, pour le PNF, les détournements de fonds publics sont suffisamment avérés pour permettre des poursuites.

Davdc : Dans l’éventualité où le PNF décide de l’ouverture d’une information judiciaire, les éléments récoltés par le PNF seraient-ils directement utilisés par le juge d’instruction pour décider d’une mise en examen ou bien mènerait-il une nouvelle enquête depuis le départ ? Sous quel délai une mise en examen pourrait alors arriver à partir de la saisie d’un juge d’instruction ?

Si le parquet ouvre une information judiciaire confiée à un juge d’instruction, le magistrat disposera évidemment de tout le travail en amont des policiers pour l’enquête préliminaire. Il pourra réentendre par politesse les époux Fillon et ordonner quelques mesures d’enquête supplémentaires, mais l’essentiel du travail sera fait.

Pauline : Quelles sont les autres voies de recours du couple Fillon ?

Aucune. Tant qu’il s’agit d’une enquête préliminaire, ils n’ont accès à rien. On peut estimer que le parquet dispose de pouvoirs exorbitants, mais François Fillon, parlementaire depuis trente-deux ans, a eu le temps de s’en apercevoir.

Jamou : Concrètement, quand est-ce que le PNF va prendre sa décision ? Y aura-t-il d’autres auditions ? Le PNF a-t-il connaissance du calendrier des dépôts de candidatures ?

Le PNF lit le journal (et sûrement Le Monde) comme tout un chacun, et a parfaitement connaissance du calendrier électoral. Rien dans la loi, ne l’oblige à en tenir compte.

Nvl : Une petite précision, vous écrivez « il n’y aura pas de classement sans suite de la procédure, comme c’est le cas pour 70 % des affaires dont les parquets français sont saisis ». 70 % de classement ou de non-classement ?

70 % de décisions de classement sans suite. 97 % des quelque 4,5 millions de procédures engagées chaque année sont gérées par les parquets. Les juges d’instruction ne travaillent que sur 3 % des affaires les crimes, et les affaires d’une particulière complexité. La montée en puissance des parquets est une constante des gouvernants de gauche comme de droite. Les procureurs ne sont pas au sens de la Cour européenne des droits de l’homme des « juges », pour deux raisons : ils concourent à la procédure (ils représentent l’accusation) et ne sont pas statutairement indépendants.

Hannah : Vous dites que la compétence du PNF, selon Eliane Houlette, est « béton en droit ». Sauf qu’au moins six juristes (professeurs de droit, magistrat) ont longuement expliqué le contraire. N’est-ce pas gênant ?

De nombreux professeurs de droit donnent des consultations aux avocats (moyennant finances). Il est rare qu’ils aillent contre l’intérêt de l’avocat qui les sollicite. Vous en trouverez autant qui pensent le contraire, notamment Nicolas Molfessis dans Le Monde, professeur à l’université Panthéon-Assas et secrétaire général du club des juristes, qui ne passe pas pour un gauchiste excité.

Maxime : Vous ne semblez pas à même de répondre aux questions qui ne vont pas dans votre sens. Voir ma question précédente sur la définition d’une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, un comptable public, un dépositaire public ou l’un de ses subordonnés.

Vous semblez, de votre côté, un peu têtu. Vous trouverez, cher Maxime, une réponse très argumentée du professeur Nicolas Molfessis, ici :

Al : Si je comprends, la seule échappatoire pour M. Fillon est qu’il n’ait « que » l’ouverture d’une information judiciaire et que le juge mette du temps avant de décider de mettre en examen M. Fillon ? Ai-je raison ?

Pas tout à fait, le suspense est plus grand. Tout ce qu’on sait, c’est que l’enquête se poursuit. Le PNF peut ensuite effectivement ouvrir une information judiciaire, mais l’hypothèse est chaque jour qui passe moins plausible : pourquoi ne pas laisser à un magistrat instructeur la charge de l’enquête si le parquet n’entend pas aller jusqu’au bout ?

Emmanuel : Question théorique : comment l’enquête se poursuivra-t-elle à partir de la campagne officielle, et, en cas de victoire de François Fillon ? « Gelée » pendant 5 ans et reprendra ensuite comme si de rien n’était ou purement est simplement annulée ? Ou alors est-ce que les poursuites/condamnations éventuelles pourraient ne concerner que Penelope Fillon ou les enfants ?

La question est de moins en moins théorique : en cas de victoire de François Fillon à la présidentielle, l’enquête est nécessairement gelée pendant cinq ans – comme pour ses prédécesseurs de droite, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. Elle reprendra ensuite. Il semble difficile de juger Penelope Fillon seule sur l’aspect détournements de fonds, puisque c’est son mari qui les lui fournissait. En revanche, rien n’empêche un tribunal de juge Mme Fillon et Marc Ladreit de Lacharrière pour trafic d’influence, pour ce travail supposé fictif dans la Revue des deux mondes.

Invité : Visiblement, les avocats de M. Fillon restent sur leur ligne de défense : ils maintiennent que l’enquête est illégale. Pourquoi ?

Parce qu’ils ne peuvent rien faire d’autre, n’ayant pas accès au dossier. Le communiqué du parquet, qui exclut tout classement sans suite après vingt jours d’enquête, est un coup très sévère pour la défense.

DansLeCubitus22 : Pouvez-vous expliquer plus clairement en quoi consiste le renvoi en correctionnelle ? Cela revient-il à une mise en examen directement ?

Un renvoi en correctionnel est bien pire qu’une mise en examen. Pour la mise en examen, il faut qu’un juge estime qu’il existe des indices « graves et concordants » des faits reprochés. Le renvoi en correctionnel suppose que le ministère public estime que le dossier est assez lourd pour réclamer une condamnation.

Clo : Ce communiqué fait naturellement grand bruit dans les médias, est-ce une pratique normale dans une procédure de publier ce genre de communiqués ? Ou bien est-ce le cas uniquement en raison de l’aspect très médiatique de l’affaire ?

Tous les parquets, à la différence des juges d’instruction, ont le droit de prendre la parole. L’article 11 du code de procédure pénale dispose : « Le procureur de la République peut (…) rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause. »

Giorgio : Si j’ai bien tout compris, il est maintenant impossible que l’affaire soit classée sans suite ?

Impossible, non. « En l’état », précise le PNF. Mais cette perspective s’éloigne grandement.

Jacques : Je ne comprends pas très bien votre explication suivante : « Le PNF peut ensuite effectivement ouvrir une information judiciaire, mais l’hypothèse est chaque jour qui passe moins plausible : pourquoi ne pas laisser à un magistrat instructeur la charge de l’enquête si le parquet n’entend pas aller jusqu’au bout ? » Cela signifie-t-il que le plus probable est un renvoi direct au tribunal correctionnel ?

Il reste toujours à savoir ce que va faire le parquet financier.

1. Sauf surprise, le classement sans suite est exclu. Les époux Fillon, pour le parquet national financier, doivent être jugés.

2. Le PNF peut quand il le souhaite ouvrir une information judiciaire et la confier à un juge d’instruction. Dans la mesure où le PNF réclame un peu plus de temps aujourd’hui pour terminer l’enquête, cette perspective s’éloigne. Le PNF entend gérer le dossier jusqu’au bout.

3. Si on écarte le juge d’instruction et le classement sans suite, il ne reste procéduralement qu’une solution : le renvoi des époux Fillon en correctionnelle. Conformément à l’article 77-2 du code de procédure pénale (loi du 3 juin 2016, que François Fillon a voté) :

« Art. 77-2. - I. - Le procureur de la République doit, lorsque l’enquête lui paraît terminée et s’il envisage de poursuivre la personne par citation directe, (…) aviser celle-ci, ou son avocat, de la mise à la disposition de son avocat (…) d’une copie de la procédure et de la possibilité de formuler des observations ainsi que des demandes d’actes utiles à la manifestation de la vérité dans un délai d’un mois ».

C’est-à-dire que les avocats des Fillon auront un mois (au plus) pour formuler des observations et faire des demandes, que le parquet suivra ou pas : le procureur de la République apprécie les suites devant être apportées à ces observations et demandes. Il en informe les personnes concernées.

Merci à vous tous, pour ces questions, dans un cas de figure politique et juridique absolument inédit.