Le roi Abdallah II de Jordanie, le 15 janvier à Amman. | KHALIL MAZRAAWI / AFP

Après l’Egypte, dont le président, Abdel Fattah Al-Sissi, a fait durant l’automne des déclarations très favorables aux autorités syriennes, la Jordanie se rapproche à son tour de Damas et de son protecteur russe. Ces dernières semaines, le royaume hachémite, qui n’a jamais rompu ses relations avec le régime Assad, mais a contribué à l’armement des brigades rebelles modérées, présentes autour de Deraa, dans le sud de la Syrie, a envoyé à son voisin plusieurs signaux d’apaisement.

La coopération sécuritaire entre Amman et Damas, mise en veilleuse depuis le début du soulèvement anti-Assad il y a cinq ans, a ainsi redémarré. Une délégation militaire syrienne de haut niveau s’est rendue en début d’année en Jordanie, peu avant la rencontre du 25 janvier, à Moscou, entre le roi Abdallah II et le président russe Vladimir Poutine. Selon le quotidien Al-Quds Al-Arabi, à capitaux qataris, Ali Mamlouk, le maître espion syrien qui chapeaute tous les services de renseignements du régime Assad, aurait même participé à la visite.

Signe de cette évolution, Amman a été convié par le Kremlin au deuxième round de négociations sur le cessez-le-feu en Syrie, qui devait s’ouvrir, jeudi 16 février, à Astana, la capitale du Kazakhstan. La Jordanie est le seul Etat arabe autorisé à assister à ces discussions, coparrainées par la Turquie et la Russie, avec le soutien de l’Iran, un autre allié de la Syrie. « Le pivot d’Amman vers Damas est de la pure realpolitik, avance Ossama Al-Sharif, un commentateur politique jordanien. C’est le résultat de la chute d’Alep, du rôle croissant de la Russie en Syrie et des récentes attaques menées par Daech en Jordanie. Amman veut assurer la sécurité de sa frontière nord. »

Bombardement jordanien

Ce rapprochement n’a pas tardé à se matérialiser sur le terrain : le 4 février, des drones jordaniens ont bombardé plusieurs cibles djihadistes dans le sud de la Syrie, dont une position auparavant contrôlée par l’armée régulière syrienne. Le gouvernement syrien, d’habitude à cheval sur le respect de son espace aérien, n’a fait cette fois aucun commentaire.

Durant l’année 2016, l’organisation Etat islamique (EI) a perpétré quatre opérations d’envergure contre des cibles jordaniennes. En janvier, une voiture piégée, venue du camp de réfugiés syriens de Roukban, installée à la frontière avec la Jordanie, s’était fait exploser contre un poste militaire, tuant sept soldats. Six mois plus tard, des fusillades dans la ville de Karak, connue pour sa forteresse de l’époque des croisades, avaient causé la mort de sept membres des forces de sécurité, deux piétons et une touriste canadienne.

A la fin décembre 2016, dans une interview donnée à la BBC, le chef d’état-major jordanien, le lieutenant-général Mahmoud Freihat, s’était publiquement alarmé de la montée du péril djihadiste. L’offensive en cours contre Mossoul et celle programmée contre Rakka, les deux « capitales » de l’EI, en Irak et en Syrie, vont conduire des milliers de soldats du « califat » à se réfugier dans la Badia, le désert syrien qui jouxte la frontière jordanienne, avait expliqué le haut gradé.

Stages de formation

Un risque qui, dans l’esprit d’Amman, impose de tendre la main au régime Assad. Les postes- frontières jordaniens ne rouvriront pas tant que l’armée régulière syrienne n’aura pas repris le contrôle de ses propres terminaux, a ainsi déclaré le chef d’état-major à la BBC. Et les stages de formation que dispense Amman aux insurgés de la région sud visent à les préparer à combattre l’EI et non les forces pro-Damas, a insisté le général.

Deux gages qui contredisent la politique de soutien clandestin à l’insurrection, suivie jusque-là par le royaume. Entre 2013 et 2015, de nombreux chargements d’armes sont en effet parvenus via la frontière jordano-syrienne, aux brigades de l’Armée syrienne libre, la branche modérée de la rébellion, qui contrôlent la moitié de Deraa et une grande partie de la campagne environnante.

Gérées depuis Amman par le Military Operation Center, une cellule de coordination, placée sous l’égide de l’Agence américaine de renseignement (CIA), ces livraisons ont baissé de volume après le début de l’intervention de Moscou en Syrie, à l’automne 2015. En échange, les bombardements russes ont – relativement – épargné les rebelles du front sud. L’intégration de la Jordanie dans le processus d’Astana pourrait conduire à la fermeture définitive de cette filière d’armement. Ce qui ouvrirait la voie, à moyen terme, à la reconquête de la région de Deraa par les forces gouvernementales. Avec la bénédiction tacite de la Jordanie.