Dans l’Hérault, les espaces agricoles perdent du terrain face à l’urbanisation galopante. | Wikimedia Commons.

A la fin de 2016, une vingtaine de jeunes appartenant au syndicat Jeunes Agriculteurs de l’Hérault sont allés semer un hectare de blé dur sur un terrain en friche appartenant à une zone d’activité économique de Clermont-l’Hérault, dans l’arrière-pays héraultais. « Nous avons voulu dénoncer ce qui se passe sur ce territoire, explique Samuel Masse, président de Jeunes Agriculteurs de l’Hérault. Cette ZAC [zone d’aménagement concerté] existe depuis plus de dix ans et elle n’est occupée qu’à 30 % ! Et pendant ce temps, on ne trouve pas de terre pour installer les jeunes agriculteurs, alors que l’Hérault est le département de France qui connaît le plus grand nombre de demandes : 700 cette année. »

Le foncier est devenu un enjeu majeur dans l’Hérault, suffisamment pour que le préfet réunisse les élus des collectivités et des organismes agricoles sur le sujet début janvier. Le but est de tirer la sonnette d’alarme : près 17 000 hectares de terres ont été artificialisées au cours des trois dernières décennies dans le département.

Ces terres, prises de manière irréversible à l’agriculture ou aux espaces naturels, servent pour de nouveaux logements, zones commerciales, zones d’activité ou infrastructures. L’Hérault a de grands besoins, étant le département qui a la plus forte pression démographique de France : il accueille tous les mois en moyenne 1 400 nouveaux habitants, et ce chiffre, selon l’Insee, ne va pas baisser pendant les dix ans qui viennent. Mais la pression démographique n’explique pas tout, car en une génération l’emprise de la tache urbaine a triplé alors que la population n’a fait que doubler.

Réduire la consommation des espaces naturels et agricoles

« C’est à chaque fois le pot de terre contre le pot de fer, estime Olivier Durand, le président du syndicat pour l’appellation Grès de Montpellier. A Saint-Georges-d’Orques il y a quatre ans, les viticulteurs avaient demandé que la rocade passe près du village pour ne pas empiéter trop sur un terroir viticole d’exception. Résultat : elle est passée beaucoup plus loin, et toutes les terres entre le village et la rocade ont été rendues constructibles. C’est simple : aujourd’hui, l’agriculture est la variable d’ajustement de l’urbanisation. »

Pour Matthieu Gregory, directeur de la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM), « l’Etat a voulu mettre les choses en transparence et fixer un objectif précis : réduire de moitié d’ici à 2020 le rythme de consommation des espaces agricoles ». Pour les agriculteurs comme pour les associations de défense de l’environnement, cette situation ne peut continuer, et, en même temps, ils ne voient guère comment inverser la tendance.

Pour Jean-Paul Salasse, qui travaille à l’association Ecologistes de l’Euzière, réputée pour son analyse de l’environnement régional, « la consommation d’espace va continuer, car on ne peut pas obliger les gens à habiter dans du collectif, et le modèle dominant reste la parcelle de 500 m2, avec sa maison et un bout de jardin. Et puis les prix sont exorbitants près des villes, donc les gens s’installent de plus en plus loin. Depuis l’arrivée de l’A 75, Lodève est devenue la périphérie de Montpellier, malgré les 30 km de distance ».

Résultat : en vingt ans, Lodève a rendu constructible 52 ha pour accueillir 322 nouveaux habitants, soit une consommation d’espace de 1 600 m2 par habitant, cinq fois la moyenne départementale. L’A 75, ouverte par tronçon sur les dix dernières années, est une des rares autoroutes gratuites de France, qui relie le littoral (Montpellier et Béziers) à Paris via le massif central : aujourd’hui, elle a permis de nouveaux espaces résidentiels et de nombreuses zones d’activité économique, créées à presque chaque sortie d’autoroute…

Des friches issues de l’arrachage des vignes

L’urbanisation galopante se fait évidemment au détriment des espaces naturels et des espaces agricoles. La diminution des espaces naturels inquiète les écologistes, mais également les viticulteurs : « Nous avons des appellations d’origine protégée, explique Jean-Benoît Cavalier, de l’appellation des Coteaux du Languedoc. Mais la valeur de l’appellation dépend aussi de la qualité des paysages. La garrigue contribue ici évidemment au paysage, mais ce n’est pas assez pris en compte. »

« Quand on se promène ici, on voit des friches partout, autrement dit des espaces à potentiel agricole non exploité », explique Jean-Paul Salasse, de l’association Ecologistes de l’Euzière

Mais l’artificialisation des terres révolte surtout les agriculteurs, d’autant plus que la situation est totalement paradoxale : « Quand on se promène ici, on voit des friches partout, autrement dit des espaces à potentiel agricole non exploité. Sur la commune de Marseillan par exemple (sur le bassin de Thau), on compte plus de 300 ha de friches », poursuit Jean-Paul Salasse.

Ces friches sont la plupart du temps issues de l’arrachage des vignes, prôné il y a une dizaine d’années, quand la viticulture languedocienne était en pleine reconversion. Aujourd’hui, de jeunes agriculteurs cherchent à s’installer, il y a des friches, mais la liaison ne se fait pas : « Dans le contexte actuel, les propriétaires de ces friches sont bien souvent des agriculteurs qui ont 55-60 ans. Ils ont une toute petite retraite, 600-700 €, explique Guilhem Vigroux, qui préside la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) dans l’Hérault. Ils savent qu’avec la pression foncière, leur terre prend de la valeur et, qui sait, sera peut-être rendue constructible un jour. Dans ce cas, la valeur du terrain peut être multipliée par 80 ! La pression foncière liée au développement urbain rejaillit sur le foncier agricole. »

Résultat : peu de terres à la vente, ce qui entraîne une hausse des prix pour les rares terres qui le sont encore. Et voilà comment le département n’a pu installer qu’une centaine de jeunes agriculteurs en 2016, alors qu’il y avait 700 demandes et que 300 à 350 agriculteurs sont partis à la retraite cette même année…

En mars 2017, tous les documents d’urbanisme des communes, les PLU (plan local d’urbanisme), vont être révisés, puis ce sera le tour des SCOT (schéma de cohérence territoriale) à l’échelle des intercommunalités. L’Etat a donc trouvé le moment opportun pour alerter sur cette consommation effrénée d’espaces. « Les SCOT sont prescriptifs, poursuit Matthieu Gregory. Et ils auront des objectifs chiffrés de consommation d’espace. Nous leur donnons les outils pour proposer des évolutions qui prennent compte de la situation. »