Vue d’un des nombreux cratères de Cérès comportant une tache blanche au centre, associée à l’émergence d’une sorte de saumure. Image réalisée par la sonde Dawn, le 17 octobre 2016. | NASA

La vie aurait-elle pu apparaître ailleurs que sur Terre ? C’est une des lancinantes questions que se posent les astrophysiciens et autres exobiologistes. La vie, ou plutôt des molécules complexes carbonées, ils l’ont cherchée et la cherchent encore sur Mars avec un robot comme Curiosity. Ils en ont trouvé des briques élémentaires sur la comète 67P/Tchourioumov-Guérassimenko grâce à la sonde européenne Rosetta. Ils suspectent aussi que des lunes de Jupiter (Europe) ou de Saturne (Titan ou Encelade) pourraient abriter de telles traces organiques dans les océans liquides qu’on soupçonne sous leurs surfaces gelées.

Et voici que grâce à la sonde Dawn de la NASA, une autre candidate pointe son nez : Cérès. C’est une planète dite « naine », orbitant dans la ceinture d’astéroïdes entre Mars et Jupiter, à environ 370 millions de kilomètres du Soleil. Si elle tourne autour de ce dernier et si elle est quasi sphérique, Cérès n’est pas une planète, car elle n’a pas fait le ménage sur son orbite, occupée par de multiples corps rocheux. Mais c’est un gros morceau, de 950 kilomètres de diamètre, qui représente le tiers de la masse de la ceinture d’astéroïdes.

Depuis l’arrivée de Dawn dans son voisinage, en mars 2015, les révélations et les surprises se succèdent, dévoilant une complexité inattendue pour un tel corps. Les premières photographies montrent des taches blanches dans des cratères, attribuées à de la présence de sels remontant à la surface.

Un corps en pelure d’oignon

En septembre 2016 est découverte une montagne de 4 kilomètres de haut, d’un type encore jamais vu : un volcan froid d’où sort une boue visqueuse. En janvier, une autre équipe a montré que l’eau est finalement très abondante, pratiquement sur toute la planète – sauf à l’équateur –, sous forme de glace prisonnière sous la surface. Divers autres indices indiquent même que le corps est en pelure d’oignon avec un cœur dur au centre et des enveloppes glacées autour.

Et dans le journal Science du 17 février, des chercheurs italiens et américains de la NASA et de l’Institut d’astrophysique et de planétologie spatiale de Rome (IAPF) expliquent avoir détecté, pour la première fois, la présence de molécules organiques dans certains recoins de cette planète. Cette matière, dont les chercheurs ne peuvent identifier exactement les composants, est faite de longues chaînes de carbone. Ces molécules sont apparentées à des huiles, des cires ou des bitumes, durcies par les températures glaciales de l’ordre de – 100 °C. « C’est un très beau résultat aux mesures convaincantes », estime Olivier Forni, de l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie de Toulouse.

Cette détection n’est pas une totale surprise car, à l’aide de télescopes terrestres, de telles signatures chimiques avaient été repérées sur les astéroïdes Cybèle et Thémis. « Mais les signaux étaient faibles, note Maria Cristina de Sanctis, porte-parole de l’expérience à l’IAPF. Ce qui nous a surpris, au début, c’est que nous ne trouvions pas de traces de matière organique ! Finalement nous en avons trouvé et la surprise a été que les proportions sont plus grandes qu’attendues, environ 10 % en volume. »

C’est dans une zone de 1 000 kilomètres carrés environ, près d’un cratère de l’hémisphère Nord, que cette matière a été finalement observée. Elle est différente de celle trouvée sur des météorites primitives ; différente aussi de celle trouvée sur la comète 67P. « Cela rajoute du curieux à cette planète naine, qui est finalement un objet très particulier. Comme quoi il reste encore de la matière inexplorée dans notre Système solaire », constate Pierre Beck de l’Institut de planétologie de Grenoble.

De fragiles édifices chimiques

Les chercheurs de Dawn pensent que ces chaînes carbonées ont été fabriquées sur place et n’ont pas été apportées par les nombreux bombardements subis par l’astre. Ces derniers auraient détruit ces fragiles édifices chimiques. En revanche, la présence de carbonates, d’ammoniac, de silicates, d’argile et surtout d’eau permet d’élaborer ce type de matière in situ ,même si les détails de la recette sont encore inconnus.

Bien entendu, il y a loin de ces tas de cire sombre à la vie florissante, telle qu’on la connaît sur Terre. Nul acide aminé par exemple – une des briques pour fabriquer des protéines – n’a été identifié, contrairement à ce qui a été vu dans les météorites ou les comètes. Mais la chimie, même pauvre, qui s’est déroulée sur Cérès mérite d’être comprise pour saisir la répartition dans le Système solaire de ces ingrédients, peut être utiles à la vie. Une difficulté supplémentaire réside dans le fait que les astrophysiciens ignorent où s’est formée Cérès, si elle a toujours occupé cette position ou bien si elle a été assemblée au-delà de Neptune, avant de migrer vers l’intérieur du Système solaire ?

« La taille de Cérès et la combinaison d’eau, de matière organique et peut-être d’eau souterraine, la mettent sur la liste des objets pouvant contenir des formes de vie primitive, estime Michaël Küppers de l’Agence spatiale européenne. Et Cérès est plus facile à atteindre que les lunes de Jupiter ou de Saturne. » Toutefois, seuls les Chinois ont pour l’instant des plans pour rapporter un morceau de cette planète naine après 2030. Une proposition française pour une telle mission, baptisée Nautilus, n’a pas été retenue par le Centre national d’études spatiales, l’agence spatiale française, à l’été 2016.

Pour espérer en savoir plus sur la nature de cette matière mystérieuse, il faudra donc se contenter des deux sondes actuelles en route vers des astéroïdes, en espérant qu’ils ressemblent à Cérès. Hayabusa 2 touchera sa cible, 162173 Ryugu, en 2018 pour un retour sur Terre en 2020 ; et Osiris-Rex, parti en 2016, espère rapporter des roches de 101955 Bennu en 2023.