Un kiosque de journaux au Maroc, avec une photo du journaliste Eric Laurent en première page d’un quotidien, le 29 août 2015 à Rabat. | FADEL SENNA / AFP

C’est un nouveau rebondissement judiciaire dans une affaire qui tient en haleine les avocats de Mohammed VI et ceux des journalistes français Catherine Graciet et Eric Laurent, poursuivis pour un chantage à l’égard du roi du Maroc depuis dix-huit mois. Jeudi 16 février, la cour d’appel de Reims a jugé recevables deux enregistrements au cœur de l’affaire. Les journalistes ont été mis en examen, en août 2015, pour « chantage » et « extorsion de fonds ». Rabat les accuse d’avoir voulu extorquer trois millions d’euros à Mohammed VI, en échange de l’engagement couché sur papier de renoncer à un livre à charge.

Dans une de ces conversations enregistrées clandestinement le 21 août 2015 par Me Hicham Naciri, émissaire du palais, M. Laurent évoque, le 21 août 2015, le titre Affaires de famille, et précise sa signification « avec ce double sens, c’est-à-dire les affaires, y compris les tensions, les frottements, les divergences au sein de la famille, plus les affaires menées par la famille. » Le livre n’a pas été publié. En revanche, cet enregistrement et un second réalisé lors de l’ultime rendez-vous daté du 27 août, sont âprement disputés.

Trois rendez-vous enregistrés

Réalisés après la plainte déposée le 20 août à Paris par les avocats du royaume, et l’ouverture d’une enquête, ces deux enregistrements sont de meilleure qualité que l’enregistrement du premier rendez-vous du 11 août. L’enregistrement du troisième rendez-vous permet, en outre, d’entendre Catherine Graciet. Les deux journalistes ont été interpellés juste après cette réunion, en possession de 80 000 euros en liquide et d’un renoncement écrit à publication.

Depuis le lancement de la procédure, les avocats des journalistes, qui reconnaissent un accord financier mais réfutent tout chantage, cherchent à écarter ces enregistrements de la procédure au motif qu’ils sont illégaux, car réalisés à l’instigation des enquêteurs. D’abord rejetée en janvier 2016, la requête en nullité a reçu l’appui de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui avait retenu que « l’autorité publique avait participé indirectement à l’obtention des enregistrements », ce qui les rendait déloyaux et illégaux.

Pas de preuve de collusion avec les enquêteurs

L’affaire a été renvoyée devant la cour d’appel de Reims, qui vient donc de rendre son arrêt. La cour y conclut que « la preuve n’est pas rapportée en l’espèce d’une participation même indirecte des services enquêteurs aux enregistrements clandestins effectués par Maître Naciri des conversations des 21 et 27 août 2015 ». Cette question de la « participation indirecte » des enquêteurs est méticuleusement démontée par l’arrêt.

Les juges de Reims expliquent que Me Naciri avait déjà procédé à un enregistrement le 11 août, avant tout contact avec les services de police, dont rien ne prouve qu’ils ont demandé à l’émissaire marocain de procéder aux enregistrements postérieurs. De plus, les contacts réguliers de l’émissaire marocain avec la police ainsi que la surveillance par cette dernière des rendez-vous ne suffisent pas, selon la cour, à prouver la « collusion ». Ces rendez-vous ont été « fixés à la seule initiative de Me Naciri et en concertation avec les mis en examen ». La cour d’appel rejette également l’argument selon lequel les policiers « auraient laissé faire » des enregistrements, puisque « les enquêteurs n’avaient pas le pouvoir de les interdire ».

Les avocats du Maroc, Me Ralph Boussier et Eric Dupond-Moretti, se félicitent que les enregistrements « viennent s’ajouter aux différents éléments accablant déjà les accusés ». « Des positions judiciaires aussi contraires sur ces enregistrements sauvages démontrent en tout état de cause leur absolue fragilité », riposte Eric Moutet, l’avocat de Catherine Graciet, qui a annoncé un nouveau recours en cassation.