Le siège de Larsen & Toubro, à Bombay, en Inde, en mai 2016. | © Shailesh Andrade / Reuters / REUTERS

Bombay, correspondance

La politique du « make in India » conduite depuis un peu plus de deux ans par le gouvernement Modi pour encourager l’industrie locale fait des adeptes dans la défense. Le Salon de l’aéronautique qui s’est tenu cette semaine à Bangalore (sud de l’Inde), et qui fermera ses portes samedi 18 février, a attiré les grands acteurs mondiaux du secteur, donnant à espérer à l’Inde qu’elle deviendra peut-être, un jour, l’un des ateliers d’armement les plus importants de la planète.

Plus de cinquante contrats ont été signés par le ministère de la défense, pour une valeur totale de 1 160 milliards de roupies (16,3 milliards d’euros), avec des entreprises étrangères s’engageant à produire tout ou partie de leurs commandes dans le sous-continent.

« L’avenir de l’industrie de l’aéronautique et de la défense repose aujourd’hui sur la concrétisation de cette vision », a fait remarquer Pierre de Bausset, patron d’Airbus Inde, de passage sur le salon. C’est dans ce contexte que le missilier européen MBDA, dont Airbus possède 37,5 % du capital aux côtés de BAE Systems et Leonardo, a annoncé la création d’une coentreprise avec le groupe indien Larsen & Toubro (L & T), pour le développement et la production de missiles destinés à l’armée indienne.

Environnement « favorable »

Baptisée « L&T MBDA Missile Systems Ltd », cette nouvelle société sera opérationnelle d’ici à l’été. Elle sera détenue à 51 % par L&T et à 49 % par MBDA, conformément à la législation indienne sur les investissements étrangers. Les deux partenaires, qui ont déjà travaillé ensemble par le passé, notamment sur des lanceurs de missiles et des systèmes de commande, jugent l’environnement politique actuel de l’Inde « favorable ».

Leur objectif premier est de créer 500 emplois pour développer des missiles guidés antichars de cinquième génération, des missiles sol-air pour les batteries de défense côtière, et des engins cibles à grande vitesse pour les essais et l’entraînement des équipages de défense antiaérienne.

« Haut niveau d’importations »

C’est avec ce type de partenariat que l’Inde espère réduire sa dépendance vis-à-vis de l’étranger. Pour l’instant, elle en est loin, si l’on en croit les estimations du Stockholm International Peace Research Institute (Sipri) : avec 14 % de part de marché, l’Inde reste le premier importateur mondial d’armements, et ses achats à l’étranger sont trois fois supérieurs à ceux de ses ennemis les plus proches, la Chine et le Pakistan. Jusqu’en 2015, la France était son quatrième fournisseur, derrière les Etats-Unis et Israël, et surtout la Russie, qui a assumé à elle seule les trois quarts des commandes de l’armée indienne durant la décennie 2004-2014.

C’est avec ce type de partenariat que l’Inde espère réduire sa dépendance vis-à-vis de l’étranger

Même si les chiffres globaux ne sont pas encore connus pour 2016, les cartes ont sans doute été rebattues avec l’obtention par Dassault Aviation d’un marché de 36 avions de combat Rafale pour 8 milliards d’euros. « La raison principale de ce haut niveau d’importations vient du fait que l’industrie indienne n’a pas réussi jusqu’ici à produire des armes compétitives », estimait l’an passé le Sipri.

Il reste maintenant aux fabricants indiens à faire mentir ce diagnostic. Tel est le pari que veut relever Larsen & Toubro, dont l’objectif est de réaliser un chiffre d’affaires de 100 milliards de roupies par an (1,4 milliard d’euros) dans le secteur de la défense, d’ici à 2021. « Lorsqu’il est arrivé au pouvoir il y a trois ans, le gouvernement Modi a déclaré que le secteur privé devrait prendre part au programme de défense de l’Inde, a rappelé il y a quelques jours son président, Anil Manibhai Naik, dans une interview au quotidien économique Mint, j’espère que les choses vont maintenant s’accélérer. »

Doubler de taille

Il s’agit d’une mutation profonde pour une entreprise qui, lors de sa fondation par deux ingénieurs danois, en 1938, importait des machines pour l’industrie laitière. Coté à la Bourse de Bombay, L&T est aujourd’hui l’un des plus gros conglomérats du pays, actif pour 42 % de son chiffre d’affaires dans le bâtiment et les travaux publics, mais présent également dans la construction navale, l’énergie, les oléoducs, les concessions autoroutières, les services financiers et, donc, l’aéronautique et la défense.

Il connaît suffisamment bien la France pour être pressenti pour la réalisation du génie civil des six réacteurs EPR d’EDF de la centrale nucléaire de Jaitapur, entre Bombay et Goa, ainsi que pour la sous-traitance de certains éléments du Rafale de Dassault Aviation à Nagpur, dans le centre de l’Inde.

Alors qu’il a vu bondir son volume d’activité de 60 % entre 2012 et 2016, pour dépasser désormais les 1 000 milliards de roupies (14 milliards d’euros), Larsen & Toubro, qui a dégagé l’an passé un résultat net de 51 milliards de roupies (700 millions d’euros), entend doubler de taille dans les trois ans qui viennent.

En septembre, Anil Manibhai Naik, 74 ans, prendra sa retraite après en avoir tenu les rênes pendant près de vingt ans. Il transmettra le flambeau à son numéro deux, S. N. Subrahmanyan, un ingénieur de 55 ans qui ne cessera de maintenir l’indépendance d’un groupe dont l’Etat détient une part résiduelle de 5,2 % au capital. – (Intérim.)