Le président nigérian Muhammadu Buhari, au centre, ici avec le fondateur de Facebook Mark Zuckerberg, début septembre 2016. A gauche, le vice-président Yemi Osinbajo est l’homme susceptible de diriger le pays en cas de vacance du pouvoir. | SUNDAY AGHAEZE / AFP

L’état de santé du président est sur toutes les langues au Nigeria. Muhammadu Buhari, 74 ans, a quitté le pays le 19 janvier afin de subir des examens médicaux dans un établissement britannique. Son retour « imminent » a été annoncé par deux fois, mais il n’est toujours pas réapparu en son pays.

Les autorités se veulent rassurantes : le chef de l’État serait « en pleine forme », selon son porte-parole Femi Adesina : « Si vous regardez son implication ces deux derniers mois, vous conviendrez avec moi que cela a été très engageant. Rappelez-vous son rôle dans la question de la Gambie ». Le gouvernement évoque de simples « examens routiniers ». Sur Twitter, le président du Sénat Bukola Saraki, de passage à Londres mercredi 15 février, confirme cette version officielle en postant une photo d’un président « en bonne santé, jovial et fidèle à lui-même. »

Mais au vu de la longueur du congé et des nuages qui s’accumulent sur le pays, avec une crise humanitaire dans le nord-est et un regain de violence au sud, dans l’Etat du Delta, les Nigérians suspectent qu’on leur cache quelque chose. « Tout ce que je demande, comme bien des Nigérians, c’est une transparence absolue. De quoi notre président souffre-t-il, paludisme, fracture, cancer ? Il faut nous le dire, on ne peut plus continuer à faire des spéculations », explique le journaliste Austyn Ogannah dans une apparition télévisée sur ChannelsTV. « Lorsque Buhari a été élu pour diriger le Nigeria, il est arrivé avec des promesses, et l’une d’entre elles était la transparence », a-t-il ajouté.

Un cancer de l’oreille ?

Il faut dire qu’il y a un précédent, qui a laissé de mauvais souvenirs. En mai 2010, le président de l’époque, Umaru Yar’Adua mourrait alors qu’il revenait d’un traitement médical en Arabie Saoudite. Goodluck Jonathan, alors vice-président, avait assuré la présidence par intérim avant d’être élu à son tour.

Depuis, les Nigérians semblent ne plus supporter l’idée d’avoir un président malade, surtout s’ils sont privés de la moindre information sur les détails de la maladie. Alors ils paniquent ou cherchent d’autres explications. Par deux fois, fin janvier, la fausse nouvelle du décès à Londres du président Buhari s’est répandue comme une traînée de poudre sur la toile et les réseaux sociaux. La presse locale soupçonne des partisans de l’opposition, le PDP, d’être à l’origine de ces rumeurs. Le parti avait déjà affirmé, lors des élections présidentielles de 2015, que Muhammadu Buhari avait un cancer de la prostate. Ces rumeurs de cancer ressurgissent désormais, mais certains éditorialistes nigérians s’en amusent, tant le mystère autour de l’état de santé du président est épais : « Le président a un cancer de l’oreille qui s’est propagé dans le reste de son corps, à moins que ce ne soit une greffe de reins ratée », ironisait un journaliste du quotidien This Day en début de semaine.

Désormais, on murmure également à Abuja que le président aurait été empoisonné à l’Aso Rock Villa, le palais présidentiel, son lieu de travail et de vie. Selon une rumeur tenace, les gardes du corps de Muhammadu Buhari auraient découvert un système d’empoisonnement via le système d’air conditionné du bureau présidentiel. Un scénario digne d’un polar mais qui ne dépareille pas dans une scène politique nigériane haute en couleur, dont les ténors sont souvent à couteaux tirés sur fond d’une corruption toujours très importante et qui aiguise les appétits et les vengeances.

Ces scénarios de plus en plus inquiétants ne laissent à la population perplexe d’autres choix que de prier. Les représentants des communautés musulmanes et chrétiennes ont appelé tous les Nigérians à s’agenouiller pour le chef de l’État, qui est musulman : « C’est Dieu qui a fait de Buhari notre dirigeant. Par conséquent, nous devrions prendre l’habitude de prier pour son bien-être », a déclaré un porte-parole de l’Association chrétienne du Nigeria. A la mosquée nationale d’Abuja, tous les vendredis, de petits groupes de prière se forment et des versets du Coran sont récités pour souhaiter au président un retour sain et sauf. De Londres, le président les en a remerciés.