Le secrétaire d’Etat américain John Kerry et le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, en 2015 à Berlin. | CARLO ALLEGRI / AFP

N’importe où, n’importe quand. Depuis des mois, le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, se dit prêt à rencontrer le leader palestinien Mahmoud Abbas sans délai, pour renouer les discussions sur une issue au conflit. Pourtant, les révélations publiées dimanche 19 février par le quotidien israélien (centre-gauche) Haaretz, sur la base de confidences anonymes d’anciens membres de l’administration Obama, montrent au contraire comment M. Nétanyahou a laissé passer une chance historique, début 2016, lors de négociations secrètes dans la ville d’Akaba, dans le sud de la Jordanie.

Ces négociations, organisées par le secrétaire d’Etat américain John Kerry, ont eu lieu avec le roi Abdallah et le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi. M. Kerry a mis sur la table un plan en six points vers une solution négociée, dans un cadre régional, qui entraînerait une reconnaissance d’Israël comme Etat juif par les pays arabes, une exigence de longue date de M. Nétanyahou. Mais le premier ministre israélien a louvoyé, estimant que ce plan serait inacceptable pour sa coalition. Interrogé dimanche par Le Monde, le ministère des affaires étrangères israélien s’est refusé à tout commentaire. Une source proche de ces négociations validait de son côté les informations du Haaretz. Lors d’une rencontre dans la matinée avec les ministres issus de son parti, le Likoud, le chef du gouvernement a confirmé la tenue de ce sommet secret d’Akaba, dont il prétend même avoir été l’initiateur.

Une course à l’électorat des colons

Le Haaretz revient longuement sur la période qui l’avait précédé. John Kerry s’était éloigné du dossier israélo-palestinien après l’échec du dernier cycle de négociations, en avril 2014. Tandis qu’au cours de l’été suivant, une nouvelle guerre – l’opération « Bordure protectrice » – ravageait la bande de Gaza, l’administration Obama se concentrait sur un accord dans le format 5 + 1 avec l’Iran, au sujet de son programme nucléaire. Une fois cet accord signé en juillet 2015, puis ratifié, le secrétaire d’Etat s’est à nouveau penché sur cette paix introuvable entre Israéliens et Palestiniens. Mais le contexte était devenu plus contraignant. Depuis mars 2015, le gouvernement le plus à droite de l’histoire a émergé sous la direction de M. Nétanyahou, engagé dans une course pour l’électorat des colons avec le parti Le Foyer juif, de Naftali Bennett.

Début 2016, John Kerry a formulé avec ses conseillers, rapporte le Haaretz, un plan en six points, au contenu classique. Il prévoyait l’émergence d’un Etat palestinien viable sur la base des frontières de 1967, avec échanges de territoires ; une reconnaissance mutuelle, comme Etat arabe et Etat juif ; un compromis sur la question des réfugiés ; Jérusalem, capitale des deux Etats ; des assurances sécuritaires pour Israël et un Etat palestinien démilitarisé. Le 31 janvier 2016, John Kerry a présenté ce plan à M. Nétanyahou, à Davos, en Suisse. Avec une perspective attrayante : celle d’un sommet tripartite historique avec le roi Abdallah et le président Sissi. Ce sommet fut fixé le 21 février dans la ville d’Akaba.

« Une rare occasion diplomatique »

Les responsables de l’administration Obama, interrogés par le Haaretz, expliquent que lors de cette rencontre secrète, M. Nétanyahou a exprimé des réserves, s’est montré hésitant, a formulé d’autres idées. Quelques semaines plus tard, le premier ministre commençait des discussions avec Isaac Herzog, le chef du Parti travailliste, afin de constituer un large gouvernement de coalition, qui lui donnerait une base assez solide pour prendre un risque diplomatique. Le leader de l’opposition aurait été mis au courant de toutes les négociations en cours. Mais quelles étaient la sincérité et la détermination du premier ministre ?

Le 15 mai, lors d’une rencontre avec les membres de son parti, enregistrée à son insu, Isaac Herzog a justifié ces discussions avec M. Nétanayhou, en évoquant une « rare occasion diplomatique qui ne se représentera peut-être plus ». « Je ne le dis pas pour rien, je le dis en connaissance de cause, déclara-t-il, selon un enregistrement publié à l’époque par la chaîne Channel 10. C’est plus compliqué que jamais, ça comporte beaucoup d’aspects, je ne sais pas si ça se produira. »

Et cela ne s’est pas produit. Les négociations entre M. Nétanyahou et les travaillistes ont pris fin, tandis que le premier ministre renforçait l’ancrage à droite de sa coalition : fin mai, il nommait Avigdor Lieberman ministre de la défense, en échange du soutien de sa poignée de députés d’extrême droite. Le 15 février, reçu à la Maison Blanche par Donald Trump, Benyamin Nétanyahou évoquait la possibilité d’un plan de paix régional. Comme si de rien n’était.