Les murs sont encore blancs, les étages à moitié vides et, sur le bureau, il n’y a qu’un ordinateur, un bloc-notes et un pot à crayons. « On vient d’emménager », s’excuse Mohamed Skander dans ses nouveaux locaux algérois. BraveHill, l’entreprise de conseil qu’il a créée en 2012 avec une amie, emploie désormais trente personnes. Il a donc fallu trouver des bureaux plus grands.

A 35 ans, costume bleu nuit et fines lunettes rectangulaires, le jeune homme est depuis janvier le nouveau leader de Jil FCE (« génération FCE »), un groupement de jeunes entrepreneurs au sein du Forum des chefs d’entreprise (FCE), l’équivalent du Medef algérien. « Les 20-39 ans dans notre pays, ce sont 14 millions de personnes. C’est trois fois la population de l’Irlande !, rappelle-t-il. Il faudrait qu’au moins 10 % d’entre eux créent des entreprises. Pour moi, ce doit être une priorité nationale. »

« Participer à la création de richesse »

Mohamed Skander connaît bien les difficultés qui attendent tout jeune Algérien désireux de lancer son affaire. Lui n’avait que 1 an lorsque ses parents, commerçants, quittèrent Tiaret (à 300 km au sud-ouest d’Alger) pour s’installer en France, à Bordeaux, où un oncle est joueur de football au sein des Girondins. « Mes parents ont ouvert des supérettes et travaillé tous les jours jusqu’à leur retraite », raconte le chef d’entreprise.

Leur fils enchaîne les filières d’excellence et, après trois années au sein du cabinet Ernest & Young, il décide de rentrer en Algérie et de créer son propre cabinet de conseil. « J’avais l’impression d’avoir trouvé une bonne opportunité de travail dans un marché inconnu, et ça me permettait de mieux connaître l’Algérie », explique-t-il.

Très vite, en parallèle de son cabinet de conseil, il veut ouvrir une entreprise de recyclage dans sa ville d’origine, Tiaret, « pour participer à la création de richesse » dans sa région. « Quand j’ai créé mon entreprise, je croyais être le seul à rencontrer autant de difficultés, en réalité, c’est général », raconte-t-il. A la lourdeur et à la complexité administrative s’ajoute un manque cruel de financements. « En Algérie, nous n’avons que très peu de possibilités de levée de fonds. Ce n’est pas dans la culture de ceux qui ont réussi d’investir dans des entreprises qui se lancent », souligne Mohamed Skander, rappelant qu’à l’heure du développement du digital, les Algériens n’ont accès aux cartes de crédit que depuis octobre 2016 et que les possibilités de paiement sont encore très limitées.

Il en est persuadé : il faut rassembler les jeunes entrepreneurs pour porter leurs revendications auprès des autorités. Mohamed Skander a été l’un des fondateurs du Jil FCE, créé en 2015. Parmi les chantiers qu’il veut mettre en œuvre : un dispositif d’accompagnement pour les créateurs d’entreprise, car « 80 % des échecs ont lieu dans les trois premières années » et un plaidoyer en faveur de la digitalisation des procédures administratives. Malgré plus de six dispositifs d’aide étatique et plusieurs initiatives privées, l’entreprenariat a du mal à se développer de façon pérenne.

Chantiers prioritaires

Principale difficulté, selon une étude récente : la culture de l’entreprenariat est très peu diffusée. « Les jeunes Algériens estiment par exemple que le réseau, on naît avec. Il faut leur faire comprendre que ça peut aussi se créer. » A son arrivée en Algérie, la plupart de ses clients étaient des entreprises françaises, réseau d’études oblige. Aujourd’hui, 80 % des entreprises qui font appel à ses services sont algériennes.

Selon son entourage, Mohamed Skander peut être un atout pour les jeunes entrepreneurs – « bienveillant et pédagogue », selon l’une de ses employées, « bosseur », selon une consœur. Certains de ses amis l’ont toutefois mis en garde : la visibilité que va lui donner le FCE peut aussi « se retourner contre lui ».

Le FCE est dirigé par Ali Haddad, chef d’entreprise controversé très proche de Saïd Bouteflika, le frère du président. Quand on lui demande s’il ne craint pas les attaques, Mohamed Skander répond : « C’est la seule institution capable de porter les revendications des chefs d’entreprise. Mon but, c’est que les jeunes développent la culture d’entreprise et créent des emplois. Ce n’est pas partisan. »

Le jeune homme a hâte de mettre en route plusieurs chantiers qu’il juge prioritaires : le numérique, « qui peut être générateur d’emplois », l’économie sociale et solidaire, « car ici, il y a le terreau culturel pour que des entreprises soient reprises par leurs salariés », ou encore l’écologie.