Conférence de presse de François Bayrou au siège du MoDem à Paris, mercredi 22 février 2017. | JEAN CLAUDE COUTAUSSE / FRENCH-POLITICS POUR LE MONDE

L’alliance entre le président du MoDem et le fondateur d’En marche ! rebat-elle les cartes de la campagne ? Quelles conséquences cette alliance peut-elle avoir pour les autres candidats ? Nicolas Chapuis, chef du service politique du « Monde », a répondu aux questions des lecteurs du Monde dans un tchat.

Catherine : Bayrou-Macron, un tandem électoral ou une alliance politique réfléchie ?

Nicolas Chapuis : Vous avez raison de poser la question. Par sa mise en scène, François Bayrou essaie de se positionner davantage dans un tandem que dans un ralliement « derrière » le candidat Macron. Mais la logique de cette élection prévaut in fine. En renonçant à une candidature, François Bayrou laisse de fait le devant de la scène à Emmanuel Macron. Il ne s’agit pas d’un tandem, ou d’un ticket président-premier ministre, à ce stade. François Bayrou a choisi l’alliance politique, considérant qu’il n’y avait pas d’espace pour lui. Il accepte de facto de laisser à un autre le soin de réaliser son vieux rêve d’une prise de pouvoir par le centre.

Gobelet : Question peu originale : qu’espère François Bayrou en se ralliant à Emmanuel Macron qu’il a beaucoup critiqué ? Un ministère ? Le premier d’entre eux ?

A ce stade, nous n’avons pas d’information à ce sujet. En raisonnant, on peut se dire que le poste de premier ministre pour Bayrou est compliqué. Emmanuel Macron se place dans une démarche pour avoir une majorité composite de députés avec laquelle il faudra beaucoup négocier. La personnalité très clivante de François Bayrou, ses aventures personnelles, sont mal perçues par une partie des députés de droite et de gauche. Il a beau être au centre, il n’est pas forcément le plus à même pour négocier des compromis.

Martin : Tous les observateurs annonçaient, dans l’entre-deux-tours de la primaire à gauche (…), que de nombreux membres du PS rejoindraient sans tarder Emmanuel Macron. (…) Les bons sondages de Hamon semblent avoir permis de stopper l’hémorragie. La décision de Bayrou de rejoindre Macron peut-elle changer la donne sur ce plan-là ?

Vous avez raison de pointer le fait que « l’hémorragie » n’a pas eu lieu. Les cadres socialistes en désaccord avec Hamon ont eu davantage tendance à se mettre en retrait qu’à quitter le parti. Le ralliement de Bayrou à Macron hier a occulté un autre ralliement : celui de Rebsamen à Hamon. Certes, c’est une personnalité moins connue, mais le geste de ce « hollandais pure souche » montre que, au PS, on se résigne petit à petit au résultat de la primaire.

L’alliance avec le MoDem a toujours été minoritaire au sein du PS. Le ralliement de Bayrou n’est donc pas forcément un élément qui va permettre à Macron d’agréger d’autres renforts. Mais en redonnant une dynamique à la campagne d’En marche !, un peu empêtrée ces derniers temps, cela peut rappeler à certains à gauche que la dynamique sondagière est quand même toujours largement favorable à Macron par rapport à Hamon.

Chantal-france : Cette alliance semble bonne pour l’Europe, est-ce votre avis ?

« Bonne », je ne saurais dire, cela dépend de votre vision de l’Europe. Ce qui est certain, c’est que la position sur l’Europe est l’un des moteurs de cette alliance. A peu de choses près, les deux hommes partagent la même vision de l’Union. Ils ont tous les deux la volonté d’en faire l’un des axes de campagne, en la défendant sur le principe, même s’ils portent des critiques sur le fond.

Charles : Pourquoi François Bayrou a-t-il choisi de soutenir une personne qu’il a déjà critiquée et dont les positions ne sont pas encore connues, plutôt que Benoît Hamon, même si son programme est plus un peu plus à gauche que ce qu’a toujours défendu M. Bayrou ?

Pour la simple et bonne raison que, en terme de programme, quasiment tout oppose MM. Hamon et Bayrou. Ce rapprochement n’a jamais été envisagé.

Andalo : Pensez-vous qu’il y aura des arrangements concernant les investitures entre En marche ! et le MoDem en vue des législatives ?

C’est la partie forcément cachée de l’accord. Ont-ils négocié un nombre de places ou alors est-ce pour l’instant un non dit ? Nous n’en savons rien.

Léo : Quel est le pouvoir, l’influence ou l’emprise qu’ont François Bayrou et son parti au niveau local, départemental et régional ? Cela peut-il être un point important pour Emmanuel Macron et son mouvement En marche !, qui n’ont à ce stade que peu de relais au niveau infranational ?

Le MoDem n’a que peu d’ancrage local. Il a perdu beaucoup d’élus lors des dernières élections. Ses alliances ne sont pas bien claires : il est parfois avec la droite (allié avec Laurent Wauquiez en Rhône-Alpes), parfois avec la gauche (à Paris et à Lille). Ce n’est pas un réseau très puissant. L’essentiel des élus centristes se situent aujourd’hui à l’UDI, allié avec Fillon.

Roland : Sait-on comment réagit l’état-major du MoDem, mais aussi Juppé ?

L’état-major du MoDem, c’est principalement… François Bayrou. Ce parti est constitué autour de sa personne, sa décision engage donc son parti. Alain Juppé n’a pas réagi directement. Mais il est allié avec François Fillon, il essaie de peser dans la campagne de ce dernier face à l’influence de Nicolas Sarkozy. Il ne se ralliera pas à Emmanuel Macron.

Aaron : Pensez-vous qu’après une telle alliance, l’UDI puisse choisir de se tourner vers Macron plutôt que de poursuivre la campagne de Fillon ?

L’UDI est alliée avec Fillon et est sur le point de conclure un accord pour les législatives très avantageux, avec près de 75 circonscriptions potentiellement gagnables. Il est peu probable qu’ils remettent en cause ce deal inespéré pour rallier M. Macron.

Philippe : Pourquoi les conditions mises par Bayrou sont-elles à l’opposé de ce que représente Macron ? Comment se rallier à un candidat aussi fuyant, qui dit tout et son contraire, soi-disant sincèrement ? Quelle valeur donner aux engagements de Macron ?

Je ne vous rejoins pas sur cette analyse. Il n’y a rien de rédhibitoire pour Macron dans les conditions fixées par Bayrou. La « moralisation » de la vie politique correspond à son discours sur le renouveau des institutions. Quant à l’introduction d’une dose de proportionnelle, c’est un peu flou. M. Bayrou a demandé une « pluralité » dans la représentation politique. Cela laisse beaucoup de marge.

Nico : Ce choix ne va-t-il pas mobiliser les électeurs de droite ? Cela pourrait être un boulet pour Macron.

Il y a en effet une question sur l’impact de ce ralliement sur l’électorat de droite. François Bayrou incarne des sentiments contradictoires. Certains regrettent que l’émergence d’un vrai centre dans le pays n’ait jamais eu lieu. D’autres considèrent que le centre doit pencher sur sa droite (dans la lignée de Giscard) et en veulent terriblement à Bayrou d’avoir fait le choix de Hollande contre Sarkozy en 2012.

Kplx : Comment pourrait se concrétiser la mise en place d’une force parlementaire en phase avec le programme que prévoit ce nouveau tandem ?

S’il l’emporte à la présidentielle, ce sera le principal défi d’Emmanuel Macron : constituer une majorité de gens aux parcours divers qui se retrouvent sur les grandes réformes qu’il appelle de ses vœux. M. Macron veut proposer aux candidats qui demandent l’investiture d’En marche ! de s’engager sur une dizaine de points à voter les textes. Quand on voit la difficulté avec laquelle le PS, avec une majorité absolue socialiste, a fait voter ses réformes (49.3 à répétition), on peut se poser des questions sur l’efficacité d’un tel dispositif. Mais avant d’en arriver là, encore faut-il remporter la présidentielle. C’est loin d’être fait.

Edel : Qu’est-ce qui sépare Bayrou de Macron ? Qu’est-ce qui les rassemble ? Partisan du premier, je me renseigne sur le second, qui jusque-là me paraissait être un OVNI sur la scène politique…

Les deux hommes partagent globalement la même vision de l’Europe. Ils se retrouvent sur l’économie dans les grandes lignes, notamment sur la nécessité de faire des économies et de respecter les règles budgétaires. Si les deux pensent qu’il faut une libéralisation du marché du travail, François Bayrou a néanmoins averti son partenaire qu’il serait attentif à la protection des travailleurs et à la sauvegarde du pouvoir d’achat. Bayrou qui a été longtemps un défenseur de la morale en politique n’a, du point de vue de l’éthique, rien à reprocher (pour le moment) à Macron. L’affaire Penelope Fillon l’a, a contrario, éloigné de François Fillon.

Au-delà des idées de fond, ils partagent des analyses compatibles sur la recomposition politique. Bayrou a toujours plaidé pour un centre indépendant qui parle avec la gauche et la droite. Macron plaide pour une offre politique « et droite et gauche » qui parle avec tout le monde également.

Quant à ce qui les sépare, il faudra attendre la publication du cadrage budgétaire et du programme de Macron pour le dire. C’est prévu cette semaine et la semaine prochaine. Tout juste peut-on noter que Bayrou a déjà repris Macron sur deux thèmes : ses propos sur les « crimes contre l’humanité » de la colonisation, et ses paroles sur l’existence non pas d’une culture française mais de plusieurs cultures françaises.

Parlepouvoirdunmot : Selon vous, la mise en avant des problèmes éthiques du comportement de M. Fillon, et l’engagement de probité de M. Macron et de M. Bayrou vont-ils peser significativement dans la réaction des Français à cette alliance ?

Je ne sais pas si la mise en avant de la probité va leur rapporter des points. Il est flagrant de voir que les Français se plaignent que leurs élus sont corrompus mais ont tendance, notamment dans les élections locales, à réélire systématiquement des élus avec des casseroles. En revanche ce qui est certain c’est que les doutes sur la probité de M. Fillon (qui en avait fait un axe de campagne) lui ont coûté des points et, par rebond, ont conforté M. Macron.