Le président mexicain Enrique Peña Nieto reçoit le secrétaire d’Etat américain, Rex Tillerson, et le secrétaire américain à la sécurité intérieure, John Kelly, le 23 février à Mexico. | AFP/PRESIDENCIA DE MEXICO/HO

« Il n’y aura pas d’expulsions massives », a assuré, jeudi 23 février, le secrétaire américain à la sécurité intérieure, John Kelly, qui s’est rendu à Mexico aux côtés du secrétaire d’Etat, Rex Tillerson. Cette visite officielle visait à désamorcer la crise diplomatique entre les deux pays depuis l’arrivée à la Maison Blanche de Donald Trump.

Le visage grave, Luis Videgaray, ministre mexicain des relations extérieures, et Miguel Angel Osorio Chong, ministre de l’intérieur, se sont adressés, jeudi, à la presse en compagnie de leurs homologues américains. « Un gouvernement ne peut pas prendre une décision qui affecte l’autre de manière unilatérale », a affirmé M. Videgaray en référence aux deux circulaires signées, deux jours plus tôt, par M. Kelly. Ces dernières menacent une partie des 11 millions de clandestins aux Etats-Unis, dont plus de la moitié sont mexicains, en étendant les expulsions expéditives à tous les sans-papiers présents sur le sol américain depuis deux ans. La mesure épargne seulement les 750 000 immigrés illégaux arrivés enfants sur le sol américain, appelés dreamers (« rêveurs »). Les deux directives prévoient aussi le recrutement de 15 000 agents d’immigration et mentionnent la recherche de fonds pour la construction du mur frontalier entre les deux pays.

L’insistance de M. Trump à vouloir faire payer au Mexique la facture de ce mur a provoqué l’annulation par le président Enrique Peña Nieto de sa visite, prévue le 31 janvier, à Washington. Le sujet n’a pas été évoqué, jeudi, devant les médias. Mais M. Videgaray n’a pas caché ses « préoccupations et irritations face à des politiques qui peuvent porter préjudice au Mexique ».

La veille, le ministre avait déclaré qu’il n’hésiterait pas « à recourir à des organismes internationaux, en commençant par les Nations unies, pour défendre les droits et libertés des Mexicains aux Etats-Unis ». Il a aussi précisé que les 50 consulats mexicains sur le territoire américain ont été « convertis en défenseurs des migrants » avec l’appui d’avocats spécialisés.

Message reçu par M. Kelly, qui a assuré que son gouvernement ne ferait « pas usage de l’armée en matière migratoire », promettant que les expulsions seront menées dans « le respect de la dignité humaine » et viseront uniquement « les délinquants entrés aux Etats-Unis ». Quant à M. Tillerson, il a reconnu « la bonne coopération entre le Mexique et les Etats-Unis pour faire cesser l’immigration irrégulière ». Depuis 2014, Mexico a lancé le plan Frontera Sur (« frontière sud »), qui vise à expulser les migrants centraméricains (140 000 en 2016) avant qu’ils atteignent les Etats-Unis.

« Opération militaire »

Autre sujet phare de la visite : la lutte contre les cartels de la drogue. « Nous allons travailler ensemble pour rendre nos deux pays plus sûrs », a souligné M. Kelly sans évoquer l’Initiative de Mérida, une aide logistique américaine accordée depuis 2008 au Mexique dans son combat contre le narcotrafic. Mais M. Kelly a reconnu la responsabilité des Etats-Unis dans « le trafic d’armes vers le Sud ». Il a aussi souligné l’interdépendance économique des deux voisins, dont « les échanges atteignent 1,5 milliard de dollars [1,4 milliard d’euros] par jour ».

L’économie mexicaine est menacée par la volonté de M. Trump de renégocier, voire d’abroger, l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) et d’imposer des taxes jusqu’à 35 % sur les produits mexicains. Mercredi 22 février, M. Videgaray a annoncé de possibles représailles douanières sur des produits américains. Le lendemain, il a précisé que la renégociation de l’Alena serait réalisée « selon une approche intégrale incluant l’immigration, la sécurité et le commerce ». Ainsi, la coopération contre le narcotrafic et celle contre l’immigration illégale pourraient être remises en cause si Washington sortait unilatéralement de l’Alena.

Jeudi, M. Tillerson et M. Kelly ont aussi rencontré en privé M. Peña Nieto, qui leur a rappelé « l’importance de privilégier le dialogue dans une négociation intégrale bénéfique aux deux nations », selon un communiqué. Le rendez-vous a provoqué une levée de boucliers chez les parlementaires de l’opposition. « Le président ne doit pas les recevoir, car ils représentent un gouvernement hostile », a fustigé Luis Miguel Barbosa, sénateur du Parti de la révolution démocratique (PRD, gauche).

Jeudi à Washington, M. Trump a contredit les propos rassurants de M. Kelly en déclarant que les expulsions de certains clandestins relevaient d’« une opération militaire ». Dans la foulée, le porte-parole de la Maison Blanche, Sean Spicer, a tenté d’arrondir les angles en précisant que l’expression utilisée par M. Trump voulait dire « efficace ».