Plus grosse utilisatrice de pesticides en Europe, la France s’est donné pour objectif de réduire de moitié le recours aux intrants dans les pratiques agricoles d’ici à 2025.  | DENIS CHARLET / AFP

Glyphosate, néonicotinoïdes, acaricide… Ces substances sont presque aussi nocives que leurs noms sont difficiles à prononcer. Elles effraient en tout cas de plus en plus les consommateurs, qui ne veulent plus de ces produits dans leur assiette.

Plus grosse utilisatrice de pesticides en Europe, la France s’est donc donné pour objectif de réduire de moitié le recours aux intrants dans les pratiques agricoles d’ici à 2025. Alors que l’interdiction de l’épandage aérien est en vigueur depuis le mois d’août 2015 – comme la fin de la vente des pesticides en libre-service dans les magasins – l’opération « zéro pesticide » a été lancée le 14 février par la ministre de l’environnement, Ségolène Royal.

Depuis quelques années, plusieurs expérimentations ont néanmoins été engagées pour réduire les traitements phytosanitaires sans rogner sur la productivité. Ainsi l’Unité expérimentale d’Epoisses, en Côte-d’Or, qui multiplie depuis trente-cinq ans ses recherches en agroécologie dans des conditions de culture en plein champ, pour le compte de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) de Dijon. Vu de haut, c’est une mosaïque grand format, couleurs nature. Jaune du colza, brun des sillons non cultivés, nuances de verts des légumineuses et des plantes fourragères. Une parcellisation des cultures inhabituelle, pour ce propriétaire terrien atypique de 120 hectares et 8 000 m2 de serres.

Changer les méthodes de travail

Depuis près de vingt ans, les chercheurs de l’Unité s’efforcent de démontrer que la réduction des pesticides peut préserver, voire augmenter, la rentabilité des exploitations. A condition de changer de méthodes de travail. Si l’on prend l’exemple des mauvaises herbes, abandonnées à leur développement naturel, liserons, chardons, vulpins et pâturins peuvent ruiner une récolte car leurs graines « étouffent » les semences. Sur la dizaine de parcelles de colza, blé et orge d’hiver – les principales céréales cultivées dans la région –, les chercheurs ont donc testé plusieurs techniques pour les éliminer : la bonne vieille méthode du désherbage mécanique ; le labour en profondeur qui, en enfouissant les graines dans la terre, retarde la pousse des herbes indésirables ; un travail en surface juste avant les semis qui élimine les premières pousses. Des techniques certes plus chronophages, mais qui peuvent s’étaler dans le temps.

La rotation des cultures a également apporté des résultats significatifs. Semées en alternance avec des céréales, des légumineuses (luzerne, triticale, pois, véroles) perturbent le cycle des mauvaises herbes. « On peut aussi semer des variétés de blé plus étouffantes », complète Nicolas Munier-Jolain, ingénieur agronome, directeur du projet. Aucune de ces méthodes n’est un remède miracle, la réussite relève de la combinaison de plusieurs d’entre elles. Près d’un millier de cultivateurs de céréales, betteraves et pommes de terre se sont engagés en 2010 à mettre en œuvre ces solutions alternatives.

Selon l’analyse des données collectées dans ces 946 fermes – publiées dans le prochain numéro de la revue scientifique Nature Plants –, « aucun conflit n’a été détecté entre la faible utilisation des pesticides et la productivité élevée dans 77 % des fermes », disent les chercheurs. Martin Lechenet, étudiant de l’INRA, en déduit que « l’utilisation totale de pesticides pourrait être réduite de 42 % sans aucun effet négatif sur la productivité et la rentabilité dans 59 % des cas ».

Stratégie de diversification

Dans la majorité des fermes étudiées, l’amoindrissement de l’utilisation de pesticides ne pèserait donc pas sur la rentabilité des exploitations, voire, dans certains cas, l’améliorerait. Mais troquer l’épandeur d’herbicides contre le désherbeur mécanique ne fait pas tout. Les chercheurs soulignent l’impact de la diversification des cultures sur la rentabilité : là où l’agriculteur ne cède pas à la monoculture, il maintient un bon niveau de productivité.

Encore faut-il qu’il trouve des débouchés commerciaux. Cette stratégie de diversification donnerait ses meilleurs résultats dans les régions d’élevage. Le cultivateur qui remplace une partie de ses champs de blé par des protéagineux, légumineuses destinées à l’alimentation animale (comme la luzerne), trouve auprès de ses collègues éleveurs un débouché de proximité.

A contrario, dans les régions grosses productrices de pommes de terre ou de betteraves comme le Nord, ou les grandes régions céréalières comme le bassin parisien, cette stratégie impliquerait des changements profonds dans l’organisation des marchés. « Nous ne voulons pas dire que toute la France devrait se mettre à faire de l’élevage, ni que toute l’agriculture devrait se convertir au bio, conclut Nicolas Munier-Jolain, mais si on généralisait la réduction des pesticides avec un objectif de rentabilité, on exporterait moins de blé certes, mais on importerait aussi moins de tourteaux de soja. »