Jusqu’au 21 mai, à la Maison Rouge à Paris, l’exposition « L’esprit français » rassemble des œuvres et documents des contre-cultures françaises de 1969 à 1989. Il aura fallu quatre ans de travail aux deux commissaires, Guillaume Désanges et François Piron, pour rassembler l’ensemble. Des années où ils ont traqué frondeurs et nonistes de tout poil, individualistes et nihilistes qui ont fait les beaux jours de l’underground français des sixties aux eighties. D’abord, il y a une intuition, des noms de personnalités ou de groupes contestataires et connus du public : le comique Coluche, le journal satirique Hara-Kiri, le philosophe Félix Guattari… « On a jeté sur le papier tout ce qui n’était pas la culture officielle, mais qui était quand même mainstream », raconte Guillaume Désanges.

L’auteur franco-argentin Copi en 1983. La pose est tirée de son monologue « Le Frigo ». | COURTESY LOLA MITCHELL

Après avoir lancé ces idées, les deux commissaires d’exposition, épaulés par trois assistants, passent des heures à la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine, à Nanterre. Mais, pour concevoir l’exposition, il ne faut pas se contenter d’archives. Ils décident d’aller se frotter de visu aux personnalités de la contre-culture hexagonale. Premier passage obligé, un déjeuner avec l’artiste Jean-Jacques Lebel, mémoire vivante de cette époque. Question de politesse, c’est un ami de La Maison rouge. Puis commence le tour de ceux qu’on croit disparus, ou qui sont tellement ancrés dans l’underground qu’ils devraient être difficiles à dénicher. Ils se révèlent finalement faciles à trouver. Et moins réfractaires que leur réputation ne le laisserait présager.

Des sujets larges et des œuvres rares

Prenez Jean-Louis Costes, performeur scato et barjot des années 1980. À 62 ans, il est toujours aussi trash. Pourtant c’est avec une extrême politesse qu’il accueille les deux commissaires dans sa maison, en Mayenne. Même amabilité de la part de la chanteuse Marie France, ex-égérie du Front homosexuel d’action révolutionnaire et des Gazolines, qui vit à Sète, dans un appartement rose tout droit sorti des films de Pedro Almodovar. Son clin d’œil séducteur fera l’affiche de l’exposition.

Certains, comme l’écrivaine Annie Le Brun, spécialiste de Sade, se font prier. « Elle est anti-tout, mais on lui a gentiment dit qu’elle serait quand même dans l’exposition », sourit Guillaume Désanges. L’instituteur Jules Celma, auteur du Journal d’un éducastreur (Champ libre, 1971) et chantre d’une éducation alternative, mettra d’abord son veto avant d’acquiescer. C’est que les guérilleros aiment toujours batailler, pour la forme.

Détail de « Qui tue ? Ou l’affaire Gabrielle Russier » (1970), signé par la coopérative des Malassis, et sous-titré « L’histoire vraie d’une jeune femme, de son histoire d’amour, de sa mort ». | COURTESY MUSÉE DES BEAUX-ARTS DE DOLE/CLAUDE-HENRI BERNARDOT

Les idées, les personnages, c’est bien ; les œuvres, c’est mieux. Après l’enquête et les témoignages, il faut donner corps à l’exposition. La chance sourit aux duettistes : deux collectionneurs fous mettent leurs archives à disposition. Eux-mêmes achètent pour une bouchée de pain sur Internet fanzines et documents manquants. Ainsi, ils rendent compte, sans tomber dans le documentaire assommant, de sujets aussi larges que celui de la contre-éducation, de la remise en cause libertaire de l’enseignement traditionnel. Ils montrent aussi des œuvres rares : un tableau des Malassis, coopérative d’artistes créée après 1969 dans le quartier du même nom à Bagnolet, Qui tue ? Ou l’affaire Gabrielle Russier, sur l’histoire de cette professeure de lettres inculpée pour avoir aimé l’un de ses élèves. De la matière, Guillaume Désanges et François Piron en ont aujourd’hui à revendre. Et de glisser : « Avec tout ce qu’on a trouvé, on pourrait faire dix expositions. »

« L’esprit français. Contre-cultures, 1969-1989 », La Maison rouge, 10, boulevard de la Bastille, Paris 12e. Tél. : 01 40 01 08 81. Jusqu’au 21 mai. www.lamaisonrouge.org