L’Assemblée nationale, à Paris. | Tyler Merbler / Flickr

« Recherche collaborateur discret et omniprésent à la fois. Très bonne culture générale et qualités rédactionnelles exigées. Maîtrise du droit public, des arcanes parlementaires et sens du contact et de l’humain indispensables. Le poste demande une totale disponibilité. La rémunération débute à 1 300 euros net… » Voici l’annonce – imaginaire – qu’un parlementaire à la recherche d’un assistant pourrait passer.

Une perle rare ? Pas tant que ça. Universités, grandes écoles et instituts d’études politiques fourbissent, chaque année, une cohorte de jeunes diplômés, militants et ambitieux. Si leurs aînés apprécient peu la mise en lumière de leur métier, tel qu’elle a été provoquée par l’affaire Fillon – l’épouse du candidat à la présidentielle étant soupçonnée d’avoir touché plus de 800 000 euros d’argent public pour des emplois fictifs d’assistante parlementaire –, ils racontent leur métier, entre investissement et précarité. Un sacerdoce qui les mobilise sept jours sur sept pour un salaire moyen de 2 200 euros, et la crainte de voir leur contrat se terminer à la fin de chaque mandature.

« La première qualité est la polyvalence »

Un bon assistant est « un couteau suisse » au service du parlementaire, métaphorise Nathalie Tournyol du Clos, directrice de formation au sein de l’Ecole nationale d’administration (ENA), école qui propose un cycle de perfectionnement des collaborateurs parlementaires. Sur le terrain, Nicolas Thibault, président de l’Association des collaborateurs parlementaires (droite), confirme : « La première qualité est la polyvalence. » « Polyvalence et autonomie », précise Marianne Darmon, coprésidente du Cercle des collaborateurs et attachés parlementaires (gauche) et diplômée de l’institut d’études politiques de Toulouse.

« Le métier consiste à anticiper l’actualité et les évolutions législatives », poursuit Nicolas Thibaut. L’assistant est une vigie, il prend le pouls du territoire, ausculte les réseaux sociaux et les médias « pour être en mesure de rebondir au plus vite avec un discours, un amendement, une proposition de loi », ajoute Jérôme Picaud, assistant parlementaire diplômé d’une maîtrise d’histoire médiévale. Le collaborateur est un conseiller politique dont l’action doit permettre d’attirer la lumière sur son employeur. « Une boîte à idées au service de l’élu », résume M. Thibault.

En circonscription, leur matière première est l’humain

Le cœur du métier toutefois varie, selon que le collaborateur exerce en circonscription ou au Parlement, à Paris. Dans le premier cas (celui de la majorité des collaborateurs), il dépasse le rôle de conseiller pour devenir un double, le représentant du parlementaire sur le territoire dont celui-ci est l’élu. « Nous sommes à l’écoute », témoigne Catherine Ariso, titulaire d’un DEA d’histoire antique, qui exerce à Toulouse. Il s’agit d’écouter les doléances et les besoins d’une communauté, mais aussi de les hiérarchiser afin de ne faire remonter à l’élu que ce qui sera jugé important.

Ce lien avec les électeurs se noue au fur et à mesure des réunions d’associations locales, des centaines d’heures de permanences passées à recevoir les administrés et à écouter les appels à l’aide pour obtenir un logement. Leur matière première, c’est l’humain. A ce poste « il faut aimer les gens », reconnaît Pierre Allorant. Les assistants parlementaires en circonscription sont également « des assistants sociaux », précise le doyen de la faculté de droit d’Orléans, responsable d’un master de l’accompagnement politique.

Ce master 2 a été créé en 2009, « à la demande des hommes politiques locaux, de droite comme de gauche », précise M. Allorant. Que recherchent les élus ? Des jeunes diplômés rompus au droit public et à la complexité du millefeuille territorial français et des compétences croisées entre collectivités. Chaque année, une quinzaine d’étudiants, généralement titulaires d’un bac + 4 en droit, en histoire ou en lettres, rejoignent ce cursus sélectif pour devenir les futurs communicants politiques des collectivités de la région, ou encore les lobbyistes des grandes compagnies ou institutions installées localement (EDF, Orange, Bureau de recherches géologiques et minières, etc.).

« Une professionnalisation depuis les années 2000 »

Comme l’université d’Orléans, les universités Paris-1 (Panthéon-Sorbonne) et Paris-2 (Panthéon-Assas) ont développé un master 2 spécialisé dans les métiers de la politique. L’Ismapp, une école privée parisienne, en a également fait une de ses spécialités. « On assiste, depuis le début des années 2000, à une professionnalisation des parcours vers les professions politiques », reconnaît Bastien François, professeur de sciences politiques à Paris-1.

Aux attachés parlementaires d’hier, entrés au service d’un homme ou d’une femme politique après plusieurs années de militantisme local et de campagnes électorales, succède une nouvelle manne de plus en plus importante de jeunes gens, encore plus diplômés, dont l’ambition dépasse l’accompagnement de problèmes locaux.

« Il y a dix ans, nous comptions deux cents étudiants en affaires publiques. Ils sont deux mille aujourd’hui à Sciences Po Paris », souligne Sana de Courcelles, directrice exécutive de l’école d’affaires publiques de l’institut. Parallèlement, les deux chambres du parlement français comptent environ trois mille assistants parlementaires, alors que par le passé les études supérieures suivies étaient plus variées.

« Sciences Po est devenue la voix royale », observe Nicolas Thibault, assistant à l’ancienne, diplômé de droit et ancien militant du RPR, qui a commencé sa carrière comme petite main au service courrier d’un bureau locale du parti chiraquien.

Des étudiants sur mesure pour un simple job

Mais aujourd’hui l’inflation législative nécessite « des gens mieux formés à l’écriture de la loi », observe Jérôme Picaud. « Et la politique est dans l’ADN » de l’Institut d’études politiques, fait remarquer en souriant Sana de Courcelles. « Nos étudiants se préparent aux concours administratifs. Ils sont donc formés à la maîtrise des finances publiques, au droit parlementaire. Ils apprennent à rédiger des notes de synthèse, sont dotés d’une solide méthodologie… les qualités attendues à ce poste. »

Toutefois, ces étudiants sur mesure regardent bien au-delà d’un poste de simple assistant. « C’est un job de première année valorisant pour ceux qui se destinent à une carrière dans la politique », jauge la directrice de Sciences Po. Un simple « job », donc. L’occasion de se constituer un indispensable réseau professionnel et « un tremplin vers la vie politique », constate Bastien François. Il peut mener à de nombreux postes au sein des ministères ou des collectivités locales et territoriales (directeur de cabinet, conseiller politique, etc.), ou permettre de devenir élu à son tour, en obtenant un premier mandat local sans passer par des années de militantisme.

« La nouvelle génération est moins idéologique, observe M. François, professeur de science politique. Elle entre en politique comme on entre dans une entreprise. »