Le 21 mai. | JOÃ L SAGET/AFP

Une femme pressée. Les semaines d'Axelle Lemaire, secrétaire d'Etat au numérique depuis deux mois, sont plus que chargées. Même si son apparente décontraction – longs cheveux blonds, talons hauts, sourire aux lèvres – n'en laisse rien voir.

Lundi 23 juin, la jeune femme se rend à Londres, sa terre d'adoption pendant douze ans, afin de prononcer un discours sur la gouvernance du Net à l'occasion du sommet de l'Icann, l'organisme international en charge de la question. Mercredi 25 juin, elle s'envolera pour New York afin de soutenir, aux côtés de Fleur Pellerin, ancienne ministre déléguée au numérique et nouvelle secrétaire d'Etat au commerce extérieur, la French Touch Conference. Une initiative portée par plusieurs associations et mouvements d'entrepreneurs français, la French Tech, France Digitale et l'innovation Touch Association.

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Le principe : organiser des rencontres pendant plusieurs jours entre des figures montantes hexagonales des nouvelles technologies et des investisseurs américains ainsi que des grands noms de la « tech scene » d'outre-Atlantique. Le tout lors de conférences et autres tables rondes. « Le prochain grand phénomène du digital peut venir de France ! Nous voulons casser cette fausse image de pays qui n'est pas une terre d'innovation et Axelle Lemaire nous aide beaucoup », commente Gaël Duval, entrepreneur français cofondateur de l'association France Digitale. « Avec cette conférence, nous voulons donner aux investisseurs américains un avant-goût des pépites et des talents qu'ils pourront trouver en France, commente la secrétaire d'Etat, le problème, c'est qu'ils sont pétris de clichés sur notre pays ! »

« LE NUMÉRIQUE BOUSCULE TOUT »

D'un point de vue plus personnel, Mme Lemaire espère que la French Touch Conference lui permettra de s'imposer dans un milieu qui appréciait particulièrement Fleur Pellerin, ministre déléguée au numérique pendant presque deux ans. « J'ai eu un peu peur quand j'ai vu le hashtag “#keepFleur” sur Twitter, en arrivant sur le poste je n'avais pas le carnet d'adresse qu'elle avait », confesse-t-elle.

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Car la secrétaire d'Etat est encore une quasi-novice en numérique. « J'ai découvert le numérique en tant que citoyenne et je me suis rendu compte à quel point ça bouleversait la société dans son ensemble. C'est un domaine qui bouscule tout, les start-up, les clusters sont disruptifs, ils bousculent l'ordre établi et ça m'a toujours plu », commente-elle. Arriver en « outsider » et bousculer l'ordre établi, cela semble en revanche être une spécialité de Mme Lemaire, elle qui a plusieurs fois dû tout recommencer à zéro.

Née à Ottawa (Canada) en 1974 d'une mère française et d'un père québécois, elle grandit à Hull, une petite ville près de Montréal. L'adolescente, qui parle avec un accent canadien, n'arrive en France, à Montpellier, qu'à l'âge de 16 ans. « Un choc linguistique. » Elle fréquente le lycée Joffre et fait une prépa littéraire avant d'intégrer Sciences Po à Paris. Un nouveau recommencement. La jeune fille, qui ne fait pas partie de l'establishment, y découvre l'élite parisienne, un monde « fascinant », ainsi que « le discours et la rationalité à la française », explique-t-elle.

« ELLE EST ACHARNÉE »

Suivront ensuite des études de droit, que Mme Lemaire pousse jusqu'à la thèse, avant un passage dans un cabinet d'avocats où elle s'occupe de contentieux internationaux. La politique viendra plus tard : en 2005, après la naissance de son premier enfant. Axelle Lemaire est alors à Londres, où elle a suivi son conjoint quelques années plus tôt. « C'est simple, je suis juriste, et, avec la guerre en Irak, je me suis rendu compte que le droit ne pouvait rien face à la volonté politique, pour changer les choses c'est de ce coté-là qu'il faut aller. »

La jeune femme s'engage au Parti socialiste et devient assez vite secrétaire de la section locale, puis secrétaire nationale aux Français de l'étranger. En 2012, elle est élue députée des Français de l'étranger pour la circonscription d'Europe du Nord. François Hollande lui propose de rentrer au gouvernement mais elle refuse, préférant consacrer son énergie à l'Assemblée nationale et garder du temps pour sa vie de famille. Elle changera d'avis après la nomination de Manuel Valls à la tête du gouvernement, en avril 2014. « Elle ne découvre pas complètement le numérique, elle commençait quand même à monter en puissance sur le sujet avant d'être nommée », commente-t-on chez un opérateur. Mme Lemaire a en effet suivi le secteur du numérique pour la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale.

« Elle m'a fait une très bonne impression, se souvient Tariq Krim, fondateur de Netvibes et de Jolicloud. Elle a une vision très politique de l'Internet, ce qui est une très bonne chose, et a su s'entourer des bonnes personnes. » « C'est très agréable de travailler avec elle, se souvient Denis MacShane, parlementaire britannique travailliste dont Mme Lemaire a longtemps été la collaboratrice. Elle est acharnée et capable de rester au bureau dix-huit heures d'affilée pour obtenir ce qu'elle veut, c'était impressionnant de la voir travailler pour son investiture en tant que députée. » D'autant qu'à l'époque elle attend son deuxième enfant.

« ELLE MANQUE PEUT-ÊTRE ENCORE DE CARRURE »

Pour Pierre Louette, secrétaire général d'Orange qui appréciait beaucoup Fleur Pellerin, Mme Lemaire est « professionnelle et très accessible ». « Elle est sympathique, ouverte, et elle a l'air de vouloir correctement faire les choses ; en plus elle est passée dans le privé, ce qui lui donne une vraie connaissance de nos problématiques. En revanche, elle s'est surtout emparée du très haut débit et du numérique, les problématiques industrielles fortes comme la consolidation dans les télécoms, ça, c'est plutôt Arnaud Montebourg qui gère », commente un bon connaisseur du secteur.

Exister aux côtés du tonitruant ministre n'est, en effet, pas chose aisée. « Elle manque peut-être encore de carrure, surtout devant un vieux briscard de la politique comme lui », craint un entrepreneur. « Elle est très appliquée, très loyale, parfois on se demande si c'est une ministre de plein exercice ou simplement une directrice de cabinet de Montebourg », se demande un autre.

La présence trop importante de M. Montebourg ? Axelle Lemaire élude d'un sourire et insiste sur leur complémentarité. Si lui doit mener les grandes politiques industrielles, elle estime qu'elle a pour mission de faire reconnaître sur la scène internationale la France comme la forte nation numérique qu'elle est. Denis MacShane, lui, ne peut s'empêcher de se demander si son ancienne collaboratrice sera « suffisamment vicieuse pour évoluer dans un parti qui dévore ses enfants ».