L’Etat de Kaduna, dans le nord-ouest du Nigeria, aura eu quelques années de répit. Mais les violences entre nomades et agriculteurs, sur fond de tensions ethniques et religieuses resurgissent, faisant des centaines de morts ces derniers mois.

La semaine passée, au moins 21 personnes ont été tuées et autant de maisons détruites alors que des éleveurs nomades ont envahi cinq villages d’agriculteurs.

Plus de trente ans de tensions

Les tensions, souvent meurtrières entre les deux communautés, ne sont pas nouvelles : cela fait plus de trente ans que les districts de Kaura, Jemaa et Zangon Kataf, où vivent un grand nombre de chrétiens dans un Etat pratiquant l’islam rigoriste, sont en proie aux violences.

Le Nigeria est découpé dans une symétrie quasi parfaite entre un Sud chrétien et un Nord musulman. Au centre, dans la Middle Belt (ceinture du milieu), les communautés se rencontrent et les tensions s’enveniment, sur fond de surpopulation, de pauvreté et d’accès aux terres arables.

Elles ont monté depuis décembre, lorsque les Peuls – groupe nomade sahélien, hausaphone, aussi appelé Fulani – ont pris les armes pour venger le meurtre d’un de leurs chefs.

27 000 déplacés

Les représentants locaux de l’église catholique affirment que les violences ont déjà fait 800 morts parmi les chrétiens et 27 000 déplacés. 16 églises auraient été brûlées et 1 500 maisons détruites.

Nigeria : la souffrance des déplacés de l’extrême Nord-Est
Durée : 02:24

Les forces de sécurité nigérianes ainsi que l’Agence nationale de gestion des urgences (Nema) ont démenti ce chiffre, mais avancent toutefois le nombre de 200 victimes. Les propriétés foncières, qui se multiplient au fur et à mesure que la population augmente et réduisent ainsi les espaces de pâturage pour les éleveurs nomades, sont à la source de ce conflit, exacerbant les haines ethniques, politiques et religieuses.

Le gouverneur de l’Etat de Kaduna, Nasir el-Rufai, a mis en cause les nomades peuls étrangers qui traversent le Nigeria : les éleveurs parcourent une route traditionnelle de pâturages qui s’étend sur quatorze pays, du Cameroun à la Mauritanie.

Des Peuls d’origines étrangères

D’après Ibrahim Abdullahi, représentant d’une association locale pour les nomades, des Peuls d’origines étrangères avaient perdu un grand nombre de têtes de bétail lors des violences post-électorales de 2011 (qui avaient fait 800 morts dans le nord du Nigeria, selon Human Rights Watch).

Entendant leurs griefs, les autorités nigérianes leur ont versé une certaine somme d’argent pour endiguer la spirale des violences. Pour Sunday Ibrahim, secrétaire général de l’Association des chrétiens du Nigeria (CAN), cette décision est « contre-productive ».

« Donner de l’argent aux éleveurs qui traversent le Nigeria et qui ont tué un grand nombre de personnes ne peut que les encourager à perpétrer des violences supplémentaires », a-t-il expliqué à l’AFP.

« Citoyens de seconde zone »

Les rancœurs contre les Peuls, nomades ou sédentaires, au sud de Kaduna, ne datent pas d’hier. Elles sont même ancestrales. Dès le début du XIXe siècle, sous l’empire peul du calife de Sokoto, les Peuls traitaient les autres ethnies « comme des citoyens de seconde zone », analyse Solomon Musa, de l’Union des peuples du Sud Kaduna. « Ils le font toujours et menacent une coexistence pacifique », dénonce-t-il.

Benedicta Kato, auteur du Rapport des minorités pour le Nigeria, une organisation chrétienne extrémiste qui recense les violences à leur encontre, remarque que rien n’a changé, même après les conversions forcées au christianisme par les colons britanniques. « Ce sentiment d’oppression de nos ancêtres est toujours là », regrette-t-elle.

Le gouvernement local de Kaduna tente d’assurer des droits égaux entre les différentes communautés, mais les tensions perdurent. En janvier, des milices chrétiennes ont mené contre le convoi de l’émir de Jemaa une embuscade dont il est sorti vivant.

Une haine et des stéréotypes

Dans la ville de Kafanchan, hub économique de la région de Jemaa, les Peuls sédentarisés sont perçus comme ayant les meilleurs emplois. « Dans le sud de l’Etat de Kaduna, la pauvreté est institutionnalisée et les indigènesn’ont pas les mêmes opportunités », affirme Benedicta Kato.

Un reproche aussitôt balayé par Abdullahi Sarkin Fada, à la tête de la garde royale de l’émirat de Jemaa, pour qui la minorité (chrétienne) « passe son temps à paresser et à boire, pendant que notre peuple se démène pour gagner sa vie ».

« C’est pour ça qu’ils brûlent nos investissements, par jalousie, dans le but de nous chasser de la ville », lance l’homme, avec une haine et des stéréotypes qui ne semblent décidément pas s’apaiser avec les siècles.

« Pendant les gouvernements militaires (jusqu’en 1999), les dirigeants ont instauré une politique de la peur », poursuit-il. « Mais c’était une cocotte-minute. »