Manifestation en hommage à l’opposant Boris Nemtsov, à Moscou, le 26 février. | OLGA MALTSEVA / AFP

« En mémoire et en hommage à nos espoirs perdus de démocratie… » Mèches blondes au vent, Tatiana vient de déposer des œillets roses sur les bords givrés de l’imposant pont en face du Kremlin. C’est ici que, le 27 février 2015, à côté des bureaux présidentiels de Vladimir Poutine dans une zone couverte de caméras de police, a été assassiné Boris Nemtsov, 55 ans. « Plus qu’un homme politique, une figure historique », se souvient Tatiana, anonyme parmi d’autres issus de cette nouvelle classe moyenne moscovite qui, lors des grandes manifestations contre le président en 2011 et 2012, avait osé rejoindre le plus inclassable des leaders de la très éclectique opposition anti-Kremlin.

A l’époque, ils étaient jusqu’à 100 000 protestataires à défiler dans les rues de Moscou. Dimanche 26 février, ils étaient entre 5 000 (selon la police) et 15 000 (selon les organisateurs) à participer à cette marche du souvenir, dense et digne mais presque défaitiste.

Autorisé au milieu d’un impressionnant dispositif policier, le défilé a été interdit d’accès au pont, lieu du meurtre où survit cahin-caha, depuis deux ans, le mémorial de fortune régulièrement démantelé par les autorités. L’enquête sur l’assassinat de Boris Nemtsov piétine pareillement. Ancien vice-premier ministre sous Boris Eltsine, il était devenu un critique virulent de Vladimir Poutine. Trois heures avant d’être abattu de quatre balles dans le dos, il avait dénoncé dans sa dernière interview l’implication militaire russe auprès des séparatistes dans l’est de l’Ukraine, révélant la présence chez les rebelles de Tornado, les derniers-nés des lance-roquettes russes.

Commanditaires

L’opposition s’active aujourd’hui afin que, au-delà du procès des cinq Tchétchènes jugés pour ce meurtre, les commanditaires soient identifiés. Le principal suspect, Rouslan Moukhoudinov, un autre Tchétchène, est toujours officiellement recherché par la police. Pour l’opposition, il ne fait pas de doute que son arrestation mènerait à celui qu’elle soupçonne d’être derrière l’assassinat : Ramzan Kadyrov, le tout-puissant dirigeant de la Tchétchénie, l’ex-rebelle installé au pouvoir par le chef du Kremlin qui multiplie les campagnes contre l’opposition libérale. Rouslan Moukhoudinov, comme d’autres hommes parmi les cinq exécutants présumés, servait au bataillon Sever (« nord »), les forces spéciales loyales à Ramzan Kadyrov.

Alors que l’opposition peine à se remettre de l’assassinat de Boris Nemtsov, les autres responsables sont souvent la cible d’attaques. Dimanche, au début de la marche, un inconnu a jeté du liquide antiseptique vert sur l’ex-premier ministre Mikhaïl Kassianov, président du parti Parnas hérité de Boris Nemtsov – une pratique devenue presque courante. En 2016, des militants pro-Kremlin avaient déjà lancé ce liquide contre des personnalités conviées par Memorial, l’une des rares organisations russes des droits de l’homme, désormais classée « agent de l’étranger » par le pouvoir.