Expérimentation d’un système d’étiquetage d’information nutritionnelle dans un supermarché de Lyon, le 28 octobre 2016. | JEFF PACHOUD / AFP

Nouvel épisode dans le feuilleton sur l’étiquetage nutritionnel : la Société française de santé publique (SFSP) « ne partage pas, mais alors pas du tout les conclusions de l’Agence nationale de sécurité sanitaire des aliments [Anses] sur la non-“pertinence” des logos », a indiqué le professeur Pierre Lombrail, le président de cette organisation de médecins, dans une tribune publiée lundi 27 février par The Conversation. Le 14 février, l’Anses a rendu son avis sur les cinq systèmes d’information nutritionnelle à l’étude pour guider les consommateurs dans leurs achats. Cet avis suscite de nombreuses réactions.

La Direction générale de la santé lui avait demandé d’analyser la « pertinence nutritionnelle » de ces logos « au regard des enjeux de santé publique en matière de nutrition ». Dans son texte, le comité d’experts de l’agence considère que les logos et leurs effets sur les choix alimentaires peuvent être pertinents s’ils réduisent « l’incidence des pathologies ». « En l’état actuel des connaissances, aucun des cinq systèmes examinés ne peut être qualifié de pertinent au regard des enjeux actuels de santé publique que constituent surpoids, obésité, désordres métaboliques… », poursuit l’Anses. De plus, « leur capacité à améliorer les choix des consommateurs apparaît incertaine ».

Cette évaluation a fait réagir la SFSP, jeudi 23 février, dans un communiqué : « Il est difficile de laisser entendre que l’objectif du logo serait de diminuer à lui seul l’incidence des cancers ou des maladies cardio-vasculaires. »

« On ne peut demander à un logo, avant sa mise en place, d’avoir démontré sa capacité à faire diminuer l’incidence des maladies chroniques. C’est un non-sens ! », a souligné de son côté le professeur Serge Hercberg, qui dirige l’équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).

« De façon scientifique »

Le professeur de nutrition britannique Philippe James, de la London School of Hygiene and Tropical Medicine, est plus sévère : « Lorsque j’ai lu cet avis, j’ai pensé que ça avait été rédigé par un cabinet de relations publiques de l’industrie agroalimentaire ! » De fait, une grande partie de l’industrie, craignant un système trop stigmatisant, est hostile à la mise en place de logos. « Il n’existe évidemment aucune étude disponible sur les effets potentiels de ces étiquetages », a fait remarquer de son côté l’association de consommateurs UFC-Que choisir.

Face à ce flot de critiques, Gérard Lasargues, directeur général adjoint de l’Anses chargé des affaires scientifiques, affirme que son institution a « répondu à la saisine du ministère de façon scientifique ». « Nous avons aussi posé des jalons pour indiquer ce que serait un bon système », ajoute-t-il.

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L’avis de l’Anses soulève par ailleurs un problème de méthode. Si l’agence affirme que « l’expertise a été réalisée sur la base des rapports initiaux de cinq rapporteurs », on peut se demander si certains d’entre eux ne se sentent pas quelque peu floués. En effet, seule une partie des conclusions de Lydiane Nabec, maître de conférences à l’université Paris-Sud/Paris-Saclay, figure dans l’expertise finale. Ses travaux, publiés dans la revue Recherche et applications en marketing fin 2016, soulignaient les effets de l’étiquetage sur le bien-être alimentaire des consommateurs, une conclusion écartée par l’Anses.

Les conclusions d’un autre rapporteur, Stephan Marette, chercheur à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), publiées dans International Journal of Consumer Studies, ne sont pas non plus prises en compte. Elles indiquent que les feux multicolores sur les emballages affectent les achats des consommateurs en orientant leur attention vers les attributs nutritionnels spécifiques du produit – par exemple, le caractère « pauvre en graisses ».

Liens financiers

Pour sa défense, l’Anses assure que « rien n’a été mis de côté. [Son] avis a mobilisé trente experts durant neuf mois ». « On s’est employé à répondre à la saisine dans le détail et avec méthode, de façon collégiale, en examinant tous les rapports », appuie le professeur François Mariotti (AgroParisTech), qui préside le comité d’experts de l’Anses.

Autre ombre au tableau : Emmanuelle Kesse-Guyot, épidémiologiste de la nutrition et experte à l’Anses, a été écartée du groupe de travail en raison de liens d’intérêt « professionnels » – on lui reproche de travailler dans l’équipe dirigée par Serge Hercberg. En revanche, aucun des autres experts n’a été mis de côté, alors que certains entretiennent des liens financiers avec l’industrie agroalimentaire, partie prenante dans les logos…

L’Anses conclut qu’un tel étiquetage ne pourra être qu’une « mesure d’accompagnement » d’actions d’éducation, d’information et d’encadrement réglementaire. Dans tous les cas, déplorent les associations de consommateurs, l’étiquetage retenu sera « facultatif », comme l’a décidé Bruxelles. Les résultats d’une étude réalisée « en conditions réelles d’achat » sont attendus fin mars, pour orienter la décision définitive de la ministre de la santé, Marisol Touraine.

Lire la chronique de Stéphane Foucart : Pesticides, nutrition : surtout, ne pas savoir