Né le 19 janvier 1931 à Pittsburgh, Pennsylvanie, le pianiste et compositeur Horace Parlan est mort le 23 février à Korsør (Seeland, Danemark). Depuis 1995, il avait la nationalité danoise. Pittsburgh, d’après le légendaire Ahmad Jamal, d’un an l’aîné de Horace Parlan, natif de la ville c’est avec New Orleans, Detroit, Kansas City, Memphis, Chicago, New York et Paris (il y tient), une des grandes villes du jazz. Jazz qu’il n’appelle jamais « jazz » mais « musique classique américaine » ; autrement dit, « musique afro-américaine ». Tout en précisant : « Je n’ai aucune parano avec le mot jazz ».

A la confluence des rivières Allegheny et Monongahela qui s’y rejoignent pour former l’Ohio, Pittsburgh est généralement considérée comme la première ville étatsunienne, pour sa qualité de vie, ses universités, sa culture et ses proportions. Quand il cite les musiciens de Pittsburgh – « je les sens tous autour de moi, quand je joue » –, Ahmad Jamal commence toujours par Horace Parlan. Il n’oublie aucun pianiste (il faut dire… Billy Strayhorn, Erroll Garner, Earl Hines, Dodo Marmarosa, et la plus grande d’entre eux, Mary Lou Williams) ; il n’oublie pas un seul batteur (Art Blakey, Kenny Clarke), pas une vedette populaire (George Benson ou les rockers qui assurent la gloire de la ville), et certainement pas Gene Kelly.

Les villes sonnent ou sonnaient avec un esprit spécial. On reconnaît un ténor texan, un batteur néo-orléanais, un pianiste de Pittsburgh, sans autre attention au « style » ou à l’âge : d’oreille, simplement. Ahmad Jamal avait appris de Horace Parlan cette phrase : « La musique ne supporte aucune ségrégation»

Une coopérative esthétique et politique

Horace Parlan prend des leçons de piano très jeune. Après une attaque de polio qui le laisse avec la main droite paralysée, sa professeure, Mary Alston, secondée par un voisin bassiste, Wyatt Ruther, lui permet de se forger un style où domine la main gauche. Après un concert de Wladimir Horowitz, il pratique assez ardemment pour recouvrer l’usage de trois doigts et la façon de les placer.

Voilà pour les nigauds qui croient découvrir le « jazz » dans le film Whiplash (Damien Chazelle). Au début des années 1950, Horace Parlan devient un des pianistes maison, à Pittsburgh, pour les solistes de passage, se produisant aussi beaucoup avec les frères Turrentine, autres enfants de la ville.

Bref séjour à Washington, D.C., avec le sax alto Sonny Stitt, suivi d’un engagement dans le groupe de Lou Donaldson, avant d’intégrer une coopérative esthétique et politique d’artistes, The Playhouse Four. Il est troublant que les bons dictionnaires et les chantres de La La Land, tels le poète Jean-Paul Ricard, qu’il ne s’agit nullement de déradicaliser, ignorent ceci : le quintette de Horace Parlan joue et enregistre avec Langston Hughes le texte de ce dernier, The Weary Blues (MGM, 1958). Langston Hughes, figure de la poésie engagée afro-américaine. On est assez loin du jazz tralala

De la main gauche, il réduisait les accords aux intervalles de tierce et de septième, que venaient colorer les notes sélectionnées par la main droite

Et maintenant, pour les zélés adorateurs de fables pour les petits nenfants, qui se répandent sur la Toile – notamment à propos de La La Land, le navet de Damien Chazelle, ceci : Mingus – Charles Mingus – recrute Horace Parlan de 1957à 1959, période où le Workshop se produit dans A Modern Symposium of Music & Poetry, avant d’enregistrer Blues & Roots et Mingus Ah Um (1959).

Horace Parlan rejoint le quintette d’Eddie Davis & Johnny Griffin, passe deux ou trois ans chez Roland Kirk (1963), participe à de nombreuses séances auprès des plus grands musiciens, notamment ténor sax (Zoot Sims, Gene Ammons, Archie Shepp avec qui il entretient une longue coopération), comme il l’avait fait aux côtés de Booker Ervin ou Dexter Gordon…

Un film lui est consacré

En tant que leader, son œuvre pour les labels Blue Note, Steeplechase, Enja, Black Saint compte une trentaine de titres. A partir de sa seconde carrière en Scandinavie ponctuée de tournées mondiales (Japon), de rencontres régulières avec Shepp (du duo au quartette), les musiciens les plus différents continuent de le solliciter : il retrouve la Mingus Dynasty (1980), enregistre avec Frank Foster comme avec Tony Coe ou Joe Van Enkhuizen (ténor), s’installe dans une ferme près de Copenhague, réduit son activité et ses voyages en raison du diabète. A la fin du siècle, un film lui est consacré Horace Parlan By Horace Parlan.

Un pianiste n’est jamais aussi sollicité par hasard. Sa personnalité, son goût musical, ses possibilités d’accompagnateur, sa science des formes historiques et des aventures les plus gaillardes, ont fait de lui un musicien très demandé. De la main gauche, il réduisait les accords aux intervalles de tierce et de septième, que venaient colorer les notes sélectionnées par la main droite jouée en drôle de posture sur le clavier.

A la fin, le peintre Rebeyrolle (1926–2005) dont les mains palpitaient comme deux oiseaux : « Si cela me gêne, pour peindre ? Mais enfin, un peintre ne peint pas avec ses mains». Le piano, c’est pareil. Tous les grands compagnons de route de Horace Parlan le savaient et goûtaient cette économie de jeu contrainte. Monk, plus tôt, portait d’énormes bagouzes :

« Ça doit te gêner, Monk, ces bagouzes de mac ?
– Pas le moins du monde, les bagues préviennent la virtuosité. La virtuosité, au piano, c’est la menace, elle vient toujours trop vite. »

Insituable (c’est souvent le cas des pianistes de Mingus), entre blues, tradition, révolution bop et avant-garde, Horace Parlan reste le passeur essentiel. Son compagnonnage avec Archie Shepp a ce sens. Très explicite, en duo, lorsque Shepp lui propose d’enregistrer des Spirituals (1977). En 2000, au moment où ses albums sont réunis en coffret par le label Mosaïc, la fondation Ben Webster lui remet son prix prestigieux.

Espérons que Horace Parlan sera inhumé au cimetière de Copenhague où repose déjà Ben Webster, sa tombe jouxtant celle de Kierkegaard. Ce qui semble parfaitement logique, voire nécessaire.

Horace Parlan By Horace Parlan DVD
Durée : 57:36