A Beit Hanoun, en août 2016. La ville a été dévastée par l’opération « Bordure protectrice », conduite dans la bande de Gaza pendant cinquante jours. | MOHAMMED ABED / AFP

En juillet 2014, Israël est entré en guerre contre le Hamas dans un état d’impréparation politique et militaire. Tel est le constat dressé par le bureau du contrôleur d’Etat israélien, Yossef Shapira, dans un rapport publié mardi 28 février. Consacré à l’opération « Bordure protectrice », conduite dans la bande de Gaza pendant cinquante jours, il détaille les processus politiques de consultation et de décision qui l’ont précédée, ainsi que leur articulation avec les actions militaires. Si de nombreux passages ont déjà fait l’objet de fuites dans la presse, le tableau d’ensemble se révèle sévère pour la direction politique et militaire du pays.

Le contrôleur d’Etat critique les informations « limitées et générales » dont ont bénéficié les ministres participant au conseil national de sécurité, avant l’offensive. Cette rétention d’informations ne leur permettait pas de prendre la mesure de « l’ampleur de la menace » représentée par les tunnels creusés par les hommes du Hamas dans la bande de Gaza. Ainsi, au cours du premier semestre 2014, la hiérarchie militaire et le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, n’ont pas fourni aux ministres de détails sur une attaque souterraine possible du mouvement islamique armé contre une communauté frontalière. En réponse, le bureau du premier ministre a souligné récemment que les tunnels avaient été évoqués à 13 reprises au sein du conseil de sécurité, avant « Bordure protectrice ».

Improvisation

Cette instance de consultation était dirigée par l’actuel chef du Mossad (les services secrets israéliens), Yossi Cohen, lui aussi mis en cause. Les membres du conseil de sécurité n’ont vraiment saisi la sophistication des tunnels que début juillet 2014, quelques jours avant le début de la guerre. Plus largement, le rapport note qu’entre la constitution du gouvernement en mars 2013 et « Bordure protectrice », aucune réunion de haut niveau n’a été tenue pour discuter de la situation humanitaire désastreuse dans la bande de Gaza, et des moyens d’améliorer la vie quotidienne des habitants, soumis au blocus israélien et égyptien. Il n’était question entre ministres que d’usage de la force et de ses degrés, regrette le rapport, faute d’une véritable stratégie à long terme vis-à-vis de Gaza.

L’armée n’est pas épargnée par les critiques. Les forces étaient-elles assez vigilantes et prêtes à répondre, face à la menace de ces tunnels du Hamas, connus pourtant de longue date ? Le contrôleur d’Etat répond par la négative. Ce n’est qu’à la fin 2013 que le Shin Bet (le service de sécurité intérieur) et le renseignement militaire ont commencé à se mobiliser au sujet des tunnels. Le rapport note que les forces aériennes manquaient de renseignements suffisants sur le réseau souterrain afin de l’éradiquer.

En outre, pendant « Bordure protectrice », les brigades d’infanterie ont dû improviser, faute de directives claires. Il a fallu attendre décembre 2014 pour que des règles d’engagement soient précisées en cas d’opération au sol sur un territoire comportant des tunnels. En revanche, le contrôleur d’Etat se félicite des efforts entrepris pour déployer, malgré des retards, des équipements de pointe le long de la bande de Gaza, permettant de détecter les tunnels. Près de deux milliards de shekels (460 millions d’euros) ont été investis dans ce système secret, sous terre et au sol.

Au-delà des critiques sur les rouages de l’Etat, le rapport revêt une dimension politique explosive, que tous les acteurs ont saisie depuis des mois, essayant de l’instrumentaliser

Au-delà des critiques sur les rouages de l’Etat, le rapport revêt une dimension politique explosive, que tous les acteurs ont saisie depuis des mois, essayant de l’instrumentaliser. « Le rapport démontre au-delà du moindre doute que le premier ministre connaissait la menace stratégique posée par les tunnels, n’avait pas ordonné aux forces armées de préparer un plan stratégique, n’avait pas informé le conseil de sécurité et n’avait pas dit la vérité au public », a réagi Yaïr Lapid mardi. Le chef du parti (centre droit) Yesh Atid était membre du conseil de sécurité, en 2014.

Les fuites dans la presse sur les délibérations au conseil de sécurité ont montré que le général Benny Gantz, alors chef d’état-major, et son ministre de tutelle, Moshe Yaalon, s’étaient montrés très réservés sur l’idée d’une opération de grande ampleur, qui aurait conduit à réoccuper Gaza. Le ministre de la défense croyait dans la possibilité d’un cessez-le-feu avec le Hamas, en constatant que personne n’avait d’intérêt à une escalade. M. Nétanyahou semblait gagner du temps. En revanche, Naftali Bennett, alors ministre de l’économie, poussait en faveur d’une vaste offensive. « Soyez des chevaux qui galopent, et pas des taureaux paresseux », avait lancé le chef du Foyer juif à son collègue, Moshe Yaalon, et aux représentants de l’armée. En janvier, le ministre faucon a qualifié le rapport du contrôleur d’Etat de « tremblement de terre sécuritaire ». « Bennett continue d’avoir un problème de crédibilité comme homme d’Etat, souligne l’un de ses collègues du gouvernement, issu du Likoud. Il utilise donc le rapport pour essayer d’apparaître comme un responsable décidé. »

Esquive de Nétanyahou

Benyamin Nétanyahou, en décembre 2016 à Jérusalem. | DAN BALILTY / AFP

Benyamin Nétanyahou, lui, refuse tout débat public sur le fond. Conscient de l’impact possible de ce rapport, il a récemment rencontré des journalistes israéliens pendant près de quatre heures, rapporte le Jerusalem Post, pour les convaincre de sa version des événements. Il a encore qualifié mardi l’opération « Bordure protectrice » de « grand succès ». Il préfère s’en prendre aux ministres, jugés trop bavards, qui commentent les anciennes délibérations en conseil de sécurité. « Lorsque le cabinet se réunit, vous devez laisser à l’extérieur votre portable, la petite politique et les intérêts personnels », a-t-il déclaré lundi, devant les députés du Likoud. Le chef du gouvernement a aussi critiqué en creux les auteurs du rapport, suspectés d’un manque de patriotisme. « Contrairement au rapport du contrôleur d’Etat, je soutiens les chefs des forces armées, du Shin Bet et de l’appareil sécuritaire, qui ont protégé les citoyens de l’Etat d’Israël et continuent à le faire », a-t-il dit.

M. Nétanyahou s’est félicité du bilan de la guerre de l’été 2014, suivie depuis par un cessez-le-feu presque respecté. Au cours de l’opération, 74 Israéliens sont morts, dont 69 soldats, contre près de 2 200 côté palestinien. Depuis, un calme sans précédent règne autour du territoire palestinien, malgré des tirs de roquette isolés et ne causant pas de dommage. Ils sont le plus souvent attribués à de petits groupes salafistes et non à la branche militaire du Hamas, qui contrôle la bande de Gaza depuis 2007. Chaque tir est suivi de frappes israéliennes contre des infrastructures attribuées au Hamas. Mais malgré ces escarmouches, la situation demeure fragile. La presse israélienne s’alarme notamment de la désignation de Yahya Sinouar comme nouveau chef du Hamas à Gaza. Issu de la branche militaire, détenu pendant vingt-deux ans dans les prisons israéliennes, il est présenté comme une figure intransigeante du mouvement, dont la première vocation est l’affrontement.

Au total, 32 tunnels ont été détruits pendant « Bordure protectrice », dont 14 conduisaient vers Israël. Mais le réseau souterrain n’a pas été anéanti. Le quotidien Israel Hayom, pourtant soutien enthousiaste de M. Nétanyahou, citait mardi un ministre, sous couvert d’anonymat, selon lequel le Hamas disposerait encore de 15 tunnels d’attaque traversant la frontière avec Israël. La mission fixée « n’a pas été menée à bien », note le contrôleur d’Etat.