Les affaires qui menacent Marine Le Pen en 3 minutes
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Marine Le Pen, qui refuse de rencontrer la police judiciaire ou de rembourser les indemnités indues des assistants parlementaires, Gilbert Collard, qui dépose une proposition de résolution pour interdire les poursuites à l’encontre de Gilbert Collard… Le Front national (FN), qui annonce que « dans quelques semaines, ce pouvoir politique aura été balayé par l’élection », semble avoir, en ce qui concerne la justice, des difficultés à s’appliquer son propre programme de « tolérance zéro ».

Une immunité parlementaire dénoncée mais utilisée

Marine Le Pen a refusé le 22 février la convocation de la police judiciaire dans l’affaire des assistants parlementaires, faisant savoir qu’elle ne se rendrait à aucune convocation policière ou judiciaire jusqu’aux élections législatives de juin. Pour se justifier, elle s’est appuyée sans le nommer sur le principe de « trêve républicaine », selon lequel la justice ne devrait pas perturber les campagnes électorales. « Comme pendant les régionales [où elle avait déjà refusé deux convocations], je ne répondrai pas pendant la campagne électorale. Cette période ne permettant ni la neutralité ni la sérénité nécessaire au fonctionnement correct de la justice », a-t-elle expliqué.

Une trêve judiciaire fantasmée

Or, ce principe de « trêve républicaine » est sans aucun fondement juridique : rien, dans la loi, ne protège les candidats à une élection contre la justice (vu le rythme électoral français, cela réduirait de manière draconienne les marges de manœuvre de la justice).

Si la présidente du FN a pu se soustraire à ces rendez-vous judiciaires, c’est en réalité grâce à son statut de parlementaire européenne, qui lui confère une immunité le temps de son mandat. Un citoyen normal aurait eu l’obligation de répondre à une telle convocation, même pour une audition libre – mais aurait pu toutefois quitter les locaux à tout moment.

Une indignation à géométrie variable

Marine Le Pen bénéficie donc d’un régime d’exception… qu’elle avait pourtant vertement critiquée en 2014, après le maintien de l’immunité parlementaire du sénateur LR Serge Dassault : « L’immunité parlementaire a été détournée de son sens, elle est là pour protéger les amis et pour tenter de condamner ses adversaires politiques », s’indignait alors la présidente du FN – qui ne comprenait pas que sa propre immunité ait pu dans le même temps être levée dans l’enquête sur ses propos sur les prières de rue, assimilées par elle à une « occupation ».

Dans un dossier différent, celui de la publication sur Twitter de photos choquantes des exécutions de l’organisation Etat islamique, le Parlement européen doit se prononcer mardi 28 février sur la levée de l’immunité de Marine Le Pen. Gilbert Collard, qui avait emboîté le pas à la présidente du FN, avait vu la même demande de levée d’immunité rejetée le 22 février par le bureau de l’Assemblée nationale, celui-ci estimant la demande de la justice pas « suffisamment précise ».

Une justice rapide mais pas pour tout le monde

Il est plutôt cocasse d’entendre le vice-président du FN, Florian Philippot, expliquer que « si elle doit répondre, Marine Le Pen répondra sur cette affaire après la campagne présidentielle, mais pas pendant ». « Elle veut que la justice puisse se rendre de façon sereine », décrypte-t-il.

Cela dépend pour qui

En janvier, son collègue sénateur David Rachline tenait le discours exactement inverse… sur l’affaire Fillon : « Je laisse la justice faire son travail, elle doit prendre ses responsabilités et aller au bout de cette enquête. On attend surtout des explications de la part de François Fillon. » Marine Le Pen était elle-même plus expéditive quand, en mai 2014, elle jugeait déjà Nicolas Sarkozy « totalement disqualifié » par l’affaire Bygmalion, alors qu’il était encore présumé innocent et n’avait pas été entendu par la justice.

Quand il n’est plus question de délits financiers ou de financement illégal, les cadres du FN font également preuve de plus de sévérité. Ainsi, en mars 2016, Florian Philippot réclamait que la justice tire rapidement au clair les soupçons de « non-dénonciation de crime » qui pesaient sur des responsables catholiques du diocèse de Lyon, après des agressions sexuelles sur des scouts. Le vice-président du FN souhaitait « que la justice passe sur ces affaires qui sont très graves, très douloureuses, et qu’elle aille évidemment jusqu’au bout ».

Dans le programme présidentiel de Marine Le Pen, on retrouve aussi un appel à « appliquer la tolérance zéro et en finir avec le laxisme judiciaire par l’abrogation des lois pénales laxistes ». Pour rompre avec cette « culture du laxisme » qui caractériserait la justice française, la candidate veut « supprimer l’Ecole nationale de la magistrature et créer une filière de formation commune aux carrières judiciaires (avec des écoles d’application) ».

Au Parlement européen, un déni de justice peu étayé

Dans l’affaire des assistants parlementaires, Marine Le Pen préfère, plutôt que se défendre sur le fond, mettre en cause les instances du Parlement européen qui l’ont condamnée à rembourser 340 000 euros d’indemnités indues. Elle y voit une « décision arbitraire, unilatérale, et pour laquelle il y a un conflit d’intérêts évident », au motif que le Parlement de Strasbourg serait « une structure politique qui a décidé de mener contre les patriotes que nous sommes un combat sans prisonniers ». Le secrétaire général du FN, Nicolas Bay, lui a emboîté le pas en s’indignant qu’il n’y ait pas eu dans cette affaire de « décision de justice », mais une simple « décision administrative qui est prise en rupture totale avec tous les principes du droit » et « ne respectant aucun des droits de la défense ».

Une argumentation trompeuse

Rappelons tout d’abord que la sanction du Parlement a été prise sur la base d’un rapport très documenté de l’Organisme européen de lutte contre la fraude (OLAF), appuyé sur de nombreux éléments concrets.

Toutes les personnes incriminées ont eu l’occasion de se défendre :

  • Catherine Griset, la cheffe de cabinet et assistante de Marine Le Pen, a été auditionnée par l’OLAF le 2 juillet 2015 ;

  • Thierry Léger, le chauffeur et assistant de Marine Le Pen, a refusé la demande d’entretien ;

  • Marine Le Pen, informée de l’ouverture de l’enquête le 29 juillet 2014, a répondu aux interrogations de l’OLAF par une lettre du 17 mars 2016.

Il peut également paraître étrange de la part de l’état-major frontiste de prétendre que les droits de la défense ont été bafoués dans cette affaire, tout en transmettant à ses troupes, comme le racontait également Le Monde le 25 février, la consigne de faire valoir leur droit au silence en cas de convocation par la justice avant la fin de la période électorale.

La procédure de recouvrement d’indemnités subie par Marine Le Pen et cinq autres parlementaires frontistes, loin d’être une exception visant à nuire au seul FN, est assez fréquente au Parlement européen : 96 autres recouvrements sont intervenus en 2015, sur un total de 109 cas investigués.

Si la décision de recouvrement est effectivement purement administrative (car les indemnités parlementaires relèvent de la discipline interne du Parlement européen), les eurodéputés FN ont la possibilité de la contester en justice, soit devant les instances décisionnelles du Parlement européen, soit devant la Cour de justice européenne. Cette dernière solution avait été choisie (en vain) il y a quelques années par l’eurodéputé souverainiste Jean-Charles Marchiani, condamné à rembourser les salaires de trois assistants fictifs embauchés entre 2001 et 2004.

L’une des manières de « judiciariser » de telles enquêtes serait de substituer à l’OLAF un « parquet européen » doté de pouvoirs d’enquête et de poursuite. Problème : ce projet, dans les tuyaux européens depuis 2013, est vivement combattu par les eurodéputés FN.