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Veaux, vaches, cochons… drones et capteurs hydrométriques. Le Salon de l’agriculture 2017, comme son prédécesseur, fait la part belle aux nouvelles technologies et aux entreprises ayant l’ambition de révolutionner l’agriculture grâce au numérique. Comment être acteur de cette mutation et accompagner les agriculteurs en la matière ? C’est la question que se posent la quinzaine d’écoles d’agronomie, qui forment plus de 13 000 étudiants par an.

Depuis quelques années, elles multiplient les rendez-vous de découverte, les options et parcours consacrés au smart farming (« agriculture intelligente ») pour leurs futurs ingénieurs spécialistes de la production animale ou végétale. Car si une minorité d’entre eux deviendront exploitants, les autres se spécialiseront dans le conseil aux agriculteurs et aux entreprises privées du secteur, ou dans la recherche agronomique.

Dans ces écoles, on se met à parler de cartographie par satellite, drone ou radar, grâce auxquels on peut par exemple suivre la maturité d’une culture de céréales ou la prolifération d’une maladie. Mais aussi de ces capteurs avec lesquels on surveille heure par heure, bien plus précisément qu’avec un simple contrôle visuel, l’humidité, l’acidité ou encore la teneur de la terre en tel ou tel élément. Et encore des logiciels qui permettent ensuite de traiter l’information.

Agriculture connectée

« Les nouvelles technologies connectées permettent d’aller chercher des informations au plus près de la plante ou de l’animal pour adapter la production, explique Bertrand Vandoorne, enseignant-chercheur à l’Institut supérieur d’agriculture (ISA) de Lille. Mais il faut traiter ces informations, les comprendre, pour ensuite donner un conseil approprié. » Depuis 2014, il anime le projet « Smart and Urban Farming », qui propose, entre autres, un module de formation de dix jours aux élèves de dernière année pour découvrir ces technologies auprès de professionnels. « Notre objectif n’est pas de former des data scientists, mais de bons agronomes au fait de toutes ces technologies », détaille-t-il.

Ce projet s’inscrit dans le cadre du regroupement d’écoles Yncréa, avec HEI (Hautes études d’ingénieur) et l’ISEN (Institut supérieur de l’électronique et du numérique). Il permet à de futurs ingénieurs et informaticiens de se rencontrer et d’apprendre à parler le même langage pour imaginer ensemble des solutions techniques à même de répondre au double défi de l’agriculture : productivité et préservation de l’environnement. Car smart farming et agroécologie ne sont pas incompatibles, « bien au contraire », défend Bertrand ­Vandoorne. Quatre de ses étudiantes viennent d’ailleurs de gagner le concours « Farming by Satellite », organisé notamment par l’Agence européenne pour l’environnement. Elles proposent d’« optimiser l’utilisation des couverts végétaux », des plantes semées l’hiver pour éviter l’érosion des sols, grâce à une ­cartographie satellite.

« On est entré dans l’ère de l’agronomie de précision. Cela nécessite une adaptation du profil des étudiants »

Ce nouvel intérêt des écoles pour l’agriculture connectée vise aussi à répondre aux besoins des entreprises. « Avec l’arrivée du GPS, il y a plus de vingt ans, on s’est mis à parler d’agriculture de précision. On est aujourd’hui entré dans l’ère de l’agronomie de précision. Cela nécessite une adaptation du profil des étudiants », explique Jérôme Le Roy, fondateur de Weenat. Cette start-up créée il y a trois ans emploie un tiers d’agronomes. Elle développe des capteurs sans fil qui envoient en direct des informations sur le smartphone de l’agriculteur. La masse considérable de données accumulées par ces capteurs explique le besoin en agronomes capables de « modéliser le comportement d’une culture à partir de ces données » et même de maîtriser la programmation.

« A la vitesse à laquelle se développent ces technologies, c’est un sacré pari de maintenir nos formations à jour », indique Bruno Tisseyre, enseignant-chercheur à Montpellier Sup Agro, qui forme de quinze à vingt agronomes spécialistes des technologies de l’information et de la communication (TIC) par an dans le cadre d’AgroTIC.

« Appel d’air »

Afin de répondre au boom à venir de l’agriculture connectée, Montpellier Sup Agro, Bordeaux Sciences Agro et l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea) ont lancé en novembre 2016 une chaire AgroTIC. Forte de vingt-trois partenaires et de 500 000 euros de budget, celle-ci « assoit autour d’une même table écoles, coopératives agricoles, équipementiers, start-up, etc. », pour mettre en adéquation la recherche et l’enseignement avec les besoins des entreprises.

« Ces innovations provoquent la curiosité chez les élèves »

Bruno Tisseyre note un « appel d’air » et un intérêt croissant des étudiants pour l’agriculture connectée. « Ces innovations provoquent la curiosité chez les élèves », confirme Roger Le Guen, enseignant-chercheur en sociologie à l’Ecole supérieure d’agricultures (ESA) d’Angers. Avec « parfois même une sorte de croyance que ces innovations peuvent en elles-mêmes transformer la réalité professionnelle et économique des agriculteurs » – alors qu’elles permettent avant tout à ce dernier d’optimiser ses actions (irrigation, utilisation de pesticides, etc.). De les justifier aussi, chiffres à l’appui, « face à des consommateurs de plus en plus exigeants en termes de transparence » des processus de production. Les conseils des agronomes s’avèrent alors tout aussi précieux. Afin de sensibiliser ses étudiants, l’ESA organise depuis deux ans les « Rendez-vous de l’agriculture connectée » et projette l’ouverture prochaine d’une formation « analyse de données ».

Si les étudiants en agronomie doivent être formés au moins aux problématiques du smart farming, c’est aussi parce qu’ils vont devoir travailler avec des agriculteurs pas toujours emballés par cette évolution. « L’agriculture connectée est assez peu évoquée dans les référentiels des diplômes », confirme Jean-Marie Le Boiteux, secrétaire générale du Snetap, principal syndicat de l’enseignement agricole public. Selon lui, les instruments de l’agriculture numérique doivent rester « de simples outils d’aide à la décision », avant tout au service d’une agriculture respectueuse de l’environnement. Une agroécologie qui n’est pas toujours encore assez rentable pour se payer, elle, les technologies du smart farming.

Après Lille, Bordeaux et Villeurbanne, O21 fait étape à Paris, les 4 et 5 mars, à la Cité des sciences et de l’industrie. Deux jours pendant lesquels lycéens et étudiants peuvent échanger avec des dizaines d’acteurs locaux innovants de l’enseignement supérieur, du monde de l’entreprise et des start-up. Gratuit sur inscription.