Des manifestants reconstituent le drapeau européen devant le siège du gouvernement, à Bucarest, le 26 février. | DANIEL MIHAILESCU / AFP

Editorial du « Monde ». Cette révolte-là refuse de s’éteindre. Depuis le 1er février, la place de la Victoire, à Bucarest, un des théâtres de la révolution de 1989 qui fit tomber Ceausescu, continue de servir de point de ralliement aux manifestants anticorruption. Présents par centaines de milliers dans plusieurs ­villes de Roumanie début février, les protestataires ne se comptent plus, physiquement, que par milliers, un mois plus tard. Mais, soutenus par un fort mouvement d’opinion et malgré d’importantes concessions du gouvernement, ils n’ont pas désarmé.

C’est un décret de ce gouvernement qui a mis le feu aux poudres. Fin janvier, celui-ci a tenté de limiter l’offensive contre la ­corruption de la haute fonction publique et des responsables politiques, menée depuis trois ans par la très déterminée chef de la direction nationale anticorruption, Laura Codruta Kövesi. Aux termes de ce décret ne seraient désormais passibles de peines d’emprisonnement que les responsables mis en cause pour un préjudice supérieur à 44 000 euros. Ce seuil n’était pas choisi au hasard : le chef du Parti social-démocrate au pouvoir (PSD), Liviu Dragnea, soupçonné de corruption dans une affaire dans laquelle la somme en jeu est évaluée à 24 000 euros, aurait pu ainsi passer au travers des mailles du filet.

Sous la pression des manifestants, auxquels le président de la République, Klaus Iohannis, de centre-droit, a apporté son soutien, le gouvernement a retiré le décret, le 5 février, puis, la colère ne passant pas, a accepté la démission du ministre de la justice, le 9 février.

Confiscation du pouvoir

Ces reculs, cependant, ne convainquent plus les contestataires. La crédibilité du gouvernement est atteinte ; les opposants n’ont plus confiance dans ses promesses et craignent que le gouvernement tente de nouveau de freiner la campagne anticorruption lorsque la société civile et ses ONG auront baissé la garde. Ils demandent aujourd’hui le soutien de l’Union européenne, seule vraie protectrice, à leurs yeux, de leurs libertés et de l’Etat de droit.

Quelles leçons tirer de cette nouvelle révolte roumaine ? La première : la corruption est au cœur du combat démocratique des classes moyennes des pays en phase de transition politique ou/et d’émergence économique. Qu’il s’agisse de la Chine, du Brésil, de la Tunisie ou de la Roumanie, la lutte contre la corruption cristallise les aspirations d’une société civile qui accède à un meilleur niveau de vie et d’éducation. La réalité d’un pouvoir confisqué par des élites s’enrichissant aux dépens de la population n’est plus supportable. Internet et les réseaux sociaux jouent un rôle crucial dans ce combat, en multipliant l’effet mobilisateur des initiatives civiques.

Deuxième leçon : il est toujours des endroits où l’Union européenne est symbole d’espoir, de droit et de dignité. Armés de leur téléphone et de banderoles de couleur, les manifestants roumains ont composé un gigantesque drapeau vivant bleu étoilé, dimanche 26 février. C’est ce même drapeau européen que brandissaient les insurgés ukrainiens de la place Maïdan, en 2014. C’est ce même drapeau encore qui flotte sur les manifestations de l’opposition polonaise contre les dérives du parti nationaliste de Jaroslaw Kaczynski, au pouvoir depuis 2015. L’Europe, perçue comme garde-fou contre les violations de l’Etat de droit et garante des valeurs démocratiques, ne doit pas manquer ce rendez-vous. Par les temps qui courent, il a repris toute son actualité.

A Bucarest, la foule forme un drapeau géant pour réclamer la démission du gouvernement
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