Epandage de pesticides dans un champ à Fromelles (Nord), en mai 2016. | DENIS CHARLET / AFP

Encore raté. L’Europe n’est toujours pas dotée d’une réglementation des perturbateurs endocriniens. Faute de majorité, la Commission européenne a renoncé, pour la troisième fois, à présenter au vote ses « critères d’identification » des perturbateurs endocriniens.

Ce sont les représentants des Etats membres de l’Union européenne, rassemblés mardi 28 février au sein du comité permanent de la chaîne alimentaire et de la sécurité animale, qui devaient examiner sa proposition. Les critères devraient à terme permettre d’interdire ces substances chimiques capables d’interagir avec le système hormonal des êtres vivants, et reliées à une multitude de maladies courantes : cancers (sein, prostate, testicules), infertilité, malformations congénitales, obésité et diabète, mais aussi troubles de développement du cerveau comme l’autisme, l’hyperactivité et une diminution du quotient intellectuel.

« Niveau de preuve irréaliste »

La proposition de la Commission est la cible de critiques nourries depuis son annonce le 15 juin 2016 de la part des organisations non gouvernementales, de plusieurs Etats membres dont la France, mais surtout de la communauté scientifique. La société savante Endocrine Society, en particulier, conteste sa capacité à atteindre son objectif : « protéger le public de ces produits chimiques dangereux ». L’industrie exprime également son insatisfaction mais pour d’autres raisons : elle redoute le retrait du marché d’une vingtaine de pesticides. Les critères sont avant tout décidés dans le cadre d’un règlement de 2009 qui concerne la mise sur le marché des pesticides, mais devraient s’appliquer ensuite à toutes les législations européennes touchant de près ou de loin aux produits chimiques. Au niveau politique européen, on considère pourtant cette hostilité comme la preuve d’avoir « fait un bon travail ».

Que leur reproche-t-on donc, à ces critères ? D’abord, un « niveau de preuve irréaliste » selon l’Endocrine Society. En effet, la Commission ne souhaite réglementer que les perturbateurs endocriniens connus : ceux dont l’effet démontré serait la « conséquence d’un mode d’action endocrinien ». Malgré les demandes insistantes de la France, le Danemark et la Suède, elle refuse de les identifier en fonction d’un système de catégories inspirées du classement des cancérigènes : perturbateur endocrinien suspecté, présumé ou connu. Une gradation qui permettrait aux pouvoirs publics d’établir des priorités en termes de mesures, de recherche, mais aussi d’information de la population.

Autre disposition qui ne passe pas : une dérogation glissée en décembre 2016 dans un paragraphe de dernière minute. La Commission avait alors introduit une exception en reformulant, en des termes très techniques, une vieille demande de l’industrie des pesticides. Celle-ci posait que les pesticides conçus pour être des perturbateurs endocriniens visant certains ravageurs ne peuvent être retirés du marché au prétexte qu’ils ciblent leur système hormonal. En décembre 2016, Le Monde avait révélé que cette disposition dérogatoire ressemblait, trait pour trait, à une idée formulée par les agrochimistes Bayer, BASF et Syngenta, publiée dans la littérature scientifique en 2013. Et que ce traitement de faveur pouvait concerner plus de 8 700 tonnes de produits par an, rien que pour la France, d’après les calculs de l’ONG Générations futures.

Plus de trois ans de retard

Dans sa troisième et dernière mouture en date, Bruxelles était allé plus loin, ajoutant une question environnementale à l’aspect sanitaire du dossier. Non seulement les pesticides perturbateurs endocriniens « par conception » devaient bénéficier d’un statut dérogatoire, mais ils ne pouvaient être retirés du marché s’ils touchaient tous les organismes du même embranchement taxonomique que l’insecte ciblé. En d’autres termes, un pesticide perturbateur endocrinien peut toucher tous les organismes de la même famille que le ravageur, sans être interdit. Et ce, même si ces organismes jouent un rôle d’auxiliaire dans les systèmes agricoles (pollinisation, qualité des sols, etc.).

La Commission continue donc à creuser son important retard – maintenant plus de trois ans. Les critères devaient en effet être adoptés en décembre 2013. Son non-respect du délai légal lui avait valu d’être condamnée, en décembre 2015, par la Cour de justice européenne pour avoir violé le droit de l’Union.