Structures tubulaires attribuées aux plus anciens microfossiles connus, découverts dans une structure géologique canadienne. | Matthew Dodd

La vie sur Terre est née dans les océans, c’est une quasi-certitude. Reste à savoir quand et où. La découverte de structures tubulaires et filamenteuses, dans des roches canadiennes vieilles d’au moins 3,77 milliards d’années, offre de nouveaux indices pour mieux cerner les conditions de son apparition. Décrites dans la revue Nature du 2 mars, ces formes microscopiques sont présentées par l’équipe internationale qui les a étudiées comme les plus anciens microfossiles connus.

« Notre découverte renforce l’idée que la vie a émergé de sources hydrothermales chaudes au fond des océans, peu de temps après la formation de la Terre [il y a environ 4,5 milliards d’années]. Cette apparition rapide concorde avec d’autres indices comme la découverte récente de formations sédimentaires vieilles de 3,7 milliards d’années qui auraient été créées par des micro-organismes », souligne le thésard Matthew Dodd (University College London, UCL – London Centre for Nanotechnology, LCN), premier signataire de l’article dans Nature. Cette même revue, en septembre 2016, avait annoncé la découverte au Groenland de ces stromatolites, des structures sédimentaires attribuées à l’activité de « matelas » de colonies bactériennes.

La « ceinture de roches vertes de Nuvvuagittuq »

Les stromatolites ne sont pas à proprement parler des fossiles : ces formations calcaires résultent de l’activité métabolique de bactéries, dont la trace directe n’a pas subsisté. En revanche, la nouvelle découverte porte sur les restes de micro-organismes eux-mêmes, fossilisés dans la roche. En l’occurrence, celle de la « ceinture de roches vertes de Nuvvuagittuq », située sur la côte est de la baie d’Hudson, au Québec. En 2008, les plus anciennes de ces roches ont été datées à 4,3 milliards d’années (et au minimum à 3,77 milliards d’années), ce qui en fait les plus vieilles connues et accessibles. Jonathan O’Neil (Université d’Ottawa), cosignataire de l’article de Nature, avait contribué à les caractériser. Les plus anciens microfossiles stricto sensu avaient jusqu’à présent été trouvés dans l’ouest de l’Australie et dataient de 3,46 milliards d’années – mais leur statut reste débattu, certains considérant qu’ils pourraient être le produit de réactions géochimiques.

Les nouveaux venus se présentent sous plusieurs formes, tubes et filaments, faits d’hématite, une forme oxydée de fer, mais aussi des rosettes produites par leur activité. Là aussi, des processus non biologiques auraient pu aboutir à des structures similaires, mais les auteurs assurent avoir écarté cette possibilité. Ils estiment que les formes prises par les microfossiles et d’autres traces géochimiques évoquent celles des micro-organismes que l’on trouve aujourd’hui encore au fond des océans, à proximité des « fumeurs », ces cheminées hydrothermales qui exhalent des eaux chargées en nutriments assurant la subsistance d’oasis de vie sous-marine. Ces tubes et filaments seraient des assemblages de cellules individuelles.

« Ces structures sont composées de minéraux dont on attend qu’ils se forment par putréfaction, et elles sont bien documentées dans les archives géologiques, depuis les origines jusqu’à aujourd’hui, avance Dominic Papineau (UCL, LCN). Le fait que nous les ayons déterrées dans une des formations géologiques les plus anciennes suggère que nous avons découvert une des plus anciennes formes de vie. »

Filaments d’hématites attachés à un fragment de fer, interprétés comme les restes de microbes fossilisés similaires à ceux que l’on trouve aujourd’hui près des cheminées hydrothermales sous-marines. | M.Dodd

Une explosion du vivant très rapide

La démonstration ne convainc cependant pas Kevin Lepot (Université Lille-I), pour qui les structures décrites pourraient tout aussi bien être des microlithes, issus d’un refroidissement rapide du magma. « Je favoriserais une interprétation non biologique des objets étudiés », avance le chercheur, pour qui l’étude de Nature ne permet pas d’exclure leur origine volcanique.

Pascal Philippot (Institut de physique du globe de Paris) est lui plus convaincu par la nouvelle étude que par celle publiée en septembre décrivant les stromatolites. « Le système de Nuvvuagittuq contient des roches sédimentaires dont l’ancienneté n’est pas contestée et qui sont clairement mieux préservées que leurs équivalents en âge du Groenland, rappelle-t-il. Il est toujours difficile de prouver une origine biologique avec des critères purement minéralogiques, mais les auteurs en présentent un certain nombre qui vont dans le bon sens. »

Comme à chaque annonce de ce type, les controverses ne manqueront pas de surgir, mais elle s’inscrit dans un faisceau d’indices pointant « vers la possibilité que l’explosion du vivant sur Terre ait pu être très rapide », rappelle Pascal Philippot : l’eau y a été présente très tôt – les continents n’émergeront vraiment qu’il y a trois milliards d’années ; les bombardements de météorites, connus et datés grâce aux cratères qui constellent la Lune, n’étaient pas forcément stérilisants ; une température clémente est apparue assez vite.

Pourra-t-on remonter plus loin dans le temps ? « Il n’est pas impossible que la fonte des glaces liée au réchauffement climatique dégage des roches plus anciennes, comme cela a été le cas au Groenland », imagine Pascal Philippot. Autre piste, les roches martiennes arpentées par les robots, dont certaines sont également vieilles de quatre milliards d’années. La Planète rouge était alors elle aussi baignée par des océans. Aurait-elle pu voir naître une vie parallèle à celle apparue sur Terre ?

World's oldest fossils unearthed - UNDER EMBARGO until 6pm 1/3/17
Durée : 04:15