À Hollywood, ce ne serait pas grand-chose mais 200 000 dollars au Cambodge, c’est le budget d’un blockbuster. En salle depuis le 31 janvier dans sept cinémas, Jailbreak a attiré 45 000 spectateurs : du jamais vu pour une production locale.

Réalisé par un Italien expatrié, Jimmy Henderson, il met en scène trois flics d’élite et un instructeur du GIGN venu de France chargés d’acheminer un mafieux dans une prison. Mais un gang féminin leur tend une embuscade avec l’aide de taulards enragés… Tout ce petit monde s’affronte avec des prises de bokator, l’art martial khmer millénaire dont on retrouve la trace sur les bas-reliefs d’Angkor Vat, et qui renaît de ses cendres depuis une dizaine d’années. Même si les décors de la prison (reconstituée dans une école désaffectée aux abords de Phnom Penh) fleurent le carton-pâte, Jailbreak est un bond en avant dans le cinéma cambodgien. C’est le premier vrai film d’action à succès, de la même façon que, fin octobre 2016, Diamond Island s’imposait comme le frémissement du cinéma d’auteur dans le pays.

L’industrie cambodgienne se contente souvent de comédies romantiques et de films de fantômes, sur le modèle dominant en Asie du Sud-Est du cinéma thaïlandais. Si les films d’arts martiaux hongkongais, et notamment la série des Bruce Lee, ont longtemps été diffusés à la télévision, ils ont été éclipsés au début des années 2000 par les « dramas », les séries romantiques coréennes. La jeune génération n’avait donc pas accès aux films d’action. Il a fallu l’ouverture, en 2011 à Phnom Penh, du premier multiplexe ayant le droit d’exploiter les licences des productions étrangères pour que le public découvre des blockbusters hollywoodiens.

Les femmes prennent le pouvoir

« Sur dix films cambodgiens, on retrouve les mêmes acteurs et scénarios, il n’y a que le contexte qui change, décrypte Loy Te, Franco-Khmer de 24 ans et producteur de Jailbreak, à travers la société Kongchak Pictures. Mais depuis deux ans la fréquentation est en baisse, le jeune public attend autre chose. On a donc voulu anticiper cette demande en développant des projets novateurs. » Après deux tentatives – le film de zombies Run (2013) et le thriller Hanuman (2015) –, sa société de production a consolidé son écurie, avec le scénariste britannique Michael Hodgson, le réalisateur italien Jimmy Henderson, et une équipe technique ayant fait ses classes sur les tournages au Cambodge de productions internationales comme Lara Croft : Tomb Raider en 2001.

Jailbreak a bénéficié d’un marketing soigné et viral. Sa bande-annonce a atteint 750 000 vues, et un jeu vidéo inspiré de son univers a été téléchargé par 58 000 personnes.

Aux têtes d’affiche locales, Savin Phillip et Dara Our, sont venus se joindre Tharoth Sam, combattante de bokator et championne de Mixed Martial Arts, ainsi que le cascadeur franco-khmer Jean-Paul Ly ou la Franco-Vietnamienne Céline Tran, connue en Europe pour son passé d’actrice porno sous le nom de Katsuni.

Avec des personnages féminins forts, les scénaristes ont voulu lutter contre les stéréotypes de genre, à l’instar des scènes de viols, omniprésents sur les écrans cambodgiens. Les dialogues (mêlant 60 % de khmer, 35 % d’anglais et 5 % de français) intègrent une dose d’humour burlesque. Par exemple, un personnage de détenu sanguinaire est surnommé le « Cannibale de Kampong Cham », ce qui provoque des fous rires contagieux dans le public, le concept occidental de tueur en série contrastant avec l’image de tranquillité de la ville du nord-est de Phnom Penh. Quant à la bande originale, elle est signée Kmeng Khmer, un duo de jeunes rappeurs qui déclenche l’hystérie des ados. Jailbreak devrait être le premier long-métrage à s’exporter sur le marché régional – en Thaïlande, au Vietnam, au Laos, en Malaisie – et espère conquérir la France.

Par Éléonore Sok-Halkovich

La bande-annonce de « Jailbreak »