Détruire, disait-il… Auteur en 1959 du manifeste de l’art autodestructif, le plasticien Gustav Metzger est mort, mercredi 1er mars, à l’âge de 90 ans, à son domicile londonien. Redécouvert sur le tard après des décennies d’oubli, cet anarchiste dans l’âme eut un fort impact sur plusieurs générations d’artistes. Activiste antinucléaire, pionnier de l’écologie, il avait pourtant tout fait pour ne laisser aucune trace, produisant des œuvres radicales, destinées pour la plupart à périr ou se désagréger.

Auschwitz, Hiroshima, le Vietnam : comme beaucoup, Metzger avait retenu la leçon tragique du XXe siècle, et abandonné toute foi dans le progrès. Un nihilisme actif, qu’il fédéra durant son symposium de l’art autodestructif, en 1966 : ce « Destruction in Art Symposium », ou DIAS, réunit poètes de Fluxus et actionnistes viennois. Il marqua Nikki de Saint-Phalle et Jean Tinguely autant que Yoko Ono, et son influence s’exerça jusqu’à la culture pop : quand le guitariste des Who, Pete Townshend, explose sa guitare sur scène dans les années 1960, Metzger, son professeur, n’y est pas pour rien.

Juif polonais né à Nuremberg en 1926, Gustav Metzger est séparé de ses parents en 1939. Un convoi d’enfants le mène en Grande-Bretagne, dans le cadre du Children Refugee Movement. Quatre ans après, ses parents disparaissent dans un camp. Grandi dans le drame, il se bat dès lors pour que l’histoire ne se répète pas, et s’oppose à toute forme de pouvoir.

Un art sans lendemain

Développé en 1959 puis 1961, après ses études d’art à Cambridge, Londres ou Anvers, son manifeste de l’art autodestructif l’amène à un art sans lendemain. Il peint à l’acide chlorhydrique sur écran de nylon. Dans Drop on Hot Plate, il fait lentement tomber une goutte d’eau paresseuse sur une plaque chaude, jusqu’à ce que l’ébullition la réduise à néant. « L’art autodestructif démontre la puissance de l’homme à accélérer le processus de désintégration de la nature et à le mettre en œuvre », clame-t-il.

Ayant toujours décliné toute invitation à vendre ses œuvres, Metzger pousse sa logique à bout de 1977 à 1980, entamant une « grève de l’art » : durant trois ans, il se refuse à engendrer quoi que ce soit. Mais il invente aussi un art « autocréatif », dont son Liquid Crystal Environment est le paroxysme : sur cinq écrans, des surfaces colorées changent imperceptiblement, créant une peinture abstraite en mouvement. Au sol, des coussins incitent à plonger dans cette incandescence psychédélique, qui servit de décor aux groupes The Who et Cream.

« Liquid Crystal Environment », une œuvre de Gustav Metzger exposée à la Serpentine Gallery à Londres en septembre 2009. | GEOFF CADDICK/AFP

Après avoir disparu de la scène, Metzger s’était retrouvé sous les feux de la rampe depuis une dizaine d’années, grâce à Hans-Ulrich Obrist, commissaire d’exposition star qui le sortit de son isolement. En 2009, il fait partie, avec John Armleder et Mai-Thu Perret, des plasticiens qui parviennent à imposer une rétrospective des exposition vides au Centre Pompidou, sous l’impulsion de Laurent Lebon. Son exposition à la Serpentine Gallery de Londres, la même année, propulse à nouveau ce vétéran dans le paysage ; elle est montrée en France dans la foulée, au château de Rochechouart (Haute-Vienne).

Inquiet de la marche du monde

Elle dévoilait un artiste plus inquiet que jamais de la marche du monde. Archives de l’Allemagne nazie, cliché de la guerre du Vietnam ou violence infligée au paysage naturel par la voiture : les images de sa série « Photographies historiques » y étaient à moitié occultées par des sculptures de briques, tissus, pneus, qui en renforçaient l’infra-présence. Plantés à l’envers dans un cube de béton, ses arbres à la racine devenue cime, les Flailing Trees, évoquaient les dangers qui pèsent sur la planète. « Son travail peut paraître pessimiste, mais il ne cesse de rappeler que l’avenir est prometteur car il est une ouverture », analysait à l’époque Olivier Michelon, alors directeur du Musée de Rochechouart.

Sur le tard, Metzger réalisa certaines œuvres imaginées des décennies auparavant. Ainsi sa performance conçue pour la première conférence des Nations unies autour de l’environnement, à Stockholm, en 1972. Elle n’a finalement été mise en scène qu’en 2007, à Sharjah : en plein cœur des Emirats, l’artiste avait réuni une centaine de voitures sous un immense voile de plastique, qui étouffait bientôt sous leurs émanations. Il avait même envisagé de détruire ensuite les véhicules dans un mélange de pétrole et gaz. Mais cette deuxième phase n’a encore jamais été réalisée.