Dans le monde du jeu vidéo, un proverbe affirme : « n’enterrez jamais Nintendo ». La compagnie japonaise, qui n’a jamais autant connu le succès que quand elle était donnée pour morte, sort vendredi 3 mars sa nouvelle console.

La Switch, console aux manettes détachables, jouable en déplacement comme sur le téléviseur familial. | NINTENDO

Son originalité ? Grâce à son écran intégré et à sa manette modulable, cette machine pensée comme un couteau suisse peut s’utiliser n’importe où ; sur un téléviseur bien sûr mais aussi au lit, aux toilettes ou dans un train. Baptisée Switch, elle est censée faire oublier l’échec de la Wii U.

Premières impressions : que vaut la Switch ?

Nintendo, qui promet avoir appris de ses récentes erreurs, espère installer sa nouvelle console dans un million de foyers français d’ici à mars 2018. Ce seuil, la Wii U ne l’a toujours pas atteint en quatre ans.

Un million de ventes en un an correspond en fait à la performance de la Wii entre décembre 2006 et décembre 2007, lorsque la folie Wii Sports s’était emparée de l’Hexagone. « C’est notre objectif, notre eldorado », avance Philippe Lavoué, directeur de Nintendo France, qui évoque une « configuration similaire au lancement », entre un nouvel épisode de Zelda ultra-attendu et un jeu grand public chargé d’évangéliser les joueurs occasionnels. Mais la Wii était différente, moins chère, lancée en pleines fêtes de fin d’années, et surtout, dans un environnement moins concurrentiel.

« La Switch ne renouvellera pas le succès de la Wii, car le contexte était tel qu’on ne pourra probablement jamais le renouveler, relativise Thomas Grellier, directeur associé et cofondateur d’EMIC, école de commerce spécialisée dans l’industrie du loisir. C’était quelque chose d’historique, à une époque où il n’y avait pas la concurrence des smartphones et des tablettes. Mais on pourra parler d’un succès si la Switch atteint 600 000 ou 800 000 machines vendues en France d’ici un an. »

Nouveau pas de côté

Pour cela, la console hybride tente de parler à la fois à un large éventail de joueurs potentiels et d’être présente sur les différents segments où la concurrence est faible, comme le jeu à plusieurs.

En revanche, la machine de Nintendo est moins puissante que ses concurrentes de Sony et de Microsoft. Un choix aussi bien pratique – question d’autonomie – que stratégique : refuser l’affrontement, c’est s’épargner une impasse face à deux machines déjà bien implantées.

Face à une PlayStation 4, vendue à 50 millions d’unités dans le monde et une Xbox One à 26 millions, la firme japonaise fait une fois encore le choix du pas de côté. « Ils ne recherchent plus la puissance. Ils ont un positionnement hypercohérent, celui du divertissement et de l’innovation », salue Thomas Grellier.

A cet égard, les manettes de la console en disent long : détachables, utilisables à un ou deux joueurs, capables de reconnaître les mouvements comme le faisait la Wii, elles symbolisent l’approche particulière de Nintendo : une volonté de privilégier l’amusement et un positionnement délibérément original et familial.

Là encore, la stratégie est la même que celle qui a fait le succès de la Wii en 2006. « Je ne pense pas qu’on arrivera à retrouver exactement le même public parce qu’il a changé entre-temps, mais on peut toucher le grand public et convaincre dans le cercle des joueurs de jeux vidéo, qui s’est élargi en dix ans », veut croire Philippe Lavoué.

Zelda, le jeu le mieux noté depuis 1998

Pour cela, la console jouit de deux atouts. Le premier est son concept même, qui lui permet d’aller chasser sur le marché du jeu mobile. « Au Japon, ce marché est trois fois plus gros que celui-ci des consoles », souligne sur Twitter Serkan Toto, analyste allemand spécialiste de l’industrie nippone.

Mais la pièce maîtresse de la Switch est son titre phare au lancement, le jeu d’aventure The Legend of Zelda : Breath of the Wild. Durant quatre ans, plus de 300 développeurs se sont affairés sur ce titre, unanimement reconnu par la presse spécialisée comme l’un des jeux de la décennie. « Le facteur clé de son succès, il n’y en a qu’un seul, c’est celui de Zelda, appuie Thomas Grellier. C’est peut-être le meilleur épisode de la saga. S’il se vend sur la longueur, le succès de la console sera sur de bonnes bases. »

L’importance stratégique de ce jeu d’aventure est tel qu’il éclipse les autres produits du catalogue de lancement, pourtant très éclectique. On y trouve notamment un jeu de danse, Just Dance 2017, le retour d’un vieux classique des soirées enflammées entre amis, Bomberman, ou encore 1-2 Switch, une compilation de mini-jeux simples et amusants censés faire la démonstration des autres fonctionnalités de la console, et notamment la possibilité de transformer sa manette en deux mini-contrôleurs distincts, pour jouer à deux.

Le constructeur continuera à régulièrement alimenter le catalogue. Philippe Lavoué croit tout particulièrement à Mario Kart 8 Deluxe, qui doit sortir en avril. « L’épisode Wii s’était vendu à 3,5 millions d’unités, celui sur Wii U, à 300 000 seulement. On a un énorme réservoir ».

  • La Switch en chiffres

98. La note moyenne impressionnante, sur 100, du jeu de lancement phare de la Switch, The Legend of Zelda : Breath of the Wild. Un seul titre a déjà fait mieux : son propre prédécesseur de 1998, The Legend of Zelda : Ocarina of Time (99).

95 000. Le nombre de Wii vendues sur son week-end de lancement. Selon Nintendo France, les réservations pour la Switch atteignent un niveau comparable.

2 millions. Le nombre de consoles mises en place au niveau mondial au lancement de la Switch. C’est moins que la Wii U, sortie en période de Noël, et certains redoutent des ruptures de stock.

4,6 milliards d’euros. Ce sont les réserves en banque de Nintendo, fruit d’une gestion économe et des succès accumulés par le passé, qui lui permettent de continuer à prendre des risques. Contrairement à une idée répandue, la Switch n’est pas la console de la dernière chance.