Ian Simbota dans le studio de la Malawi Broadcast Channel 1 (MBC1), la radio publique du pays. | Amaury Hauchard/Le Monde

Ian Simbota est journaliste à la Malawi Broadcast Channel 1 (MBC1), la radio publique du Malawi. Il habite Blantyre, la capitale économique du pays. Les ONG considèrent que les albinos sont plus en sécurité dans les villes comme Lilongwe et Blantyre qu’en campagne, où l’Etat de droit peine à s’implanter. Mais le quotidien de Ian n’est pas de tout repos.

Présentation de notre série : Les albinos du Malawi racontent leur quotidien

« J’adore mon travail. Parler aux gens tous les matins, ça me fait oublier que je suis albinos. Quand ils vous écoutent à la radio, ils ne vous jugent pas sur votre couleur de peau, ils écoutent votre voix. J’adore pouvoir parler sans tout ramener à mon albinisme.

C’est vrai que j’en tire une certaine célébrité. Beaucoup de gens me connaissent et m’interpellent sur les réseaux sociaux. Mais une fois que je quitte le studio, je redeviens un albinos. Dès que je quitte la radio, je redécouvre mon pays, un pays où j’ai peur pour ma sécurité quand je marche dans la rue.

En décembre 2016, je suis sorti du studio à huit heures du soir. Il fait nuit à Blantyre à huit heures. Quand je finis tard comme ça, la radio m’envoie un chauffeur pour me ramener chez moi. C’est trop dangereux sinon. Ce soir-là, il n’est pas venu. Je suis parti à pied, je me suis fait attaquer. En pleine rue. Deux hommes m’ont volé mes lunettes et mon portefeuille. Est-ce qu’ils m’en voulaient parce que je suis albinos ? Je ne sais pas. Je me suis enfui, j’ai couru.

J’habite avec ma sœur Annie. Elle est aussi albinos. Pour moi, ça va, je n’ai pas peur des hommes. Mais tous les jours, je me demande : où est Anna ? Pour elle, c’est facile, elle peut savoir où je suis en permanence en écoutant la radio. Mais moi, je ne sais pas ce qu’elle fait et où elle est. Elle est professeure, il peut lui arriver n’importe quoi quand elle rentre de l’école.

Ce n’est pas normal de vivre dans un pays où je ne me sens pas chez moi. J’ai peur d’être un homme au Malawi. C’est absurde. Si les militaires peuvent protéger nos forêts contre les braconniers, pourquoi ne peuvent-ils pas protéger les albinos ? La justice ne marche pas ici, rien n’est fait pour nous. Le gouvernement ne fait rien, Mutharika [le président du Malawi] ne fait rien.

Le gouvernement nous dit qu’il prend des mesures, que les cas d’enlèvement sont isolés. Comment peut-on dire ça quand on a une attaque tous les mois ? Il y a deux options : soit le Malawi n’arrive pas à sécuriser son territoire, soit il sait très bien ce qu’il s’y passe mais ne prend pas les mesures nécessaires.

Avant, je voulais consacrer ma carrière à me battre pour le sort des albinos. J’ai été chargé de la section dédiée aux albinos à l’hôpital Queen-Elizabeth, ici à Blantyre. Je suis aussi un membre du conseil d’administration de l’Association pour les personnes atteintes d’albinisme du Malawi. Mais j’ai changé. Evidemment, je m’occupe toujours de l’association, mais je veux faire plus. Je veux travailler comme un homme, je veux normaliser la condition des albinos. Si on est toujours considérés comme des personnes à part, le regard des gens ne changera jamais.

De grandes ambitions

J’ai de grandes ambitions pour le futur. Il y a les élections législatives en 2019, je veux me présenter et devenir député. Je pourrais devenir le premier député albinos, ça serait un bon moyen de changer le système. En attendant, je diversifie mes activités. Vous savez que je suis aussi acteur à la télévision ?

La MBC1, la première chaîne du Malawi, est à la fois une télévision et une radio. On m’a proposé de jouer dans un film, il y a quelques mois. J’ai évidemment dit oui, j’ai toujours voulu être acteur. Au début, les producteurs étaient sceptiques. Ils me demandaient si j’étais capable de jouer, si je pouvais assumer un rôle d’acteur. C’est à cause de ma vue. Les gens pensent que je ne peux rien faire. A la radio aussi, ils n’ont pas voulu me donner un poste au début, ils pensaient que je ne pourrais pas tenir une émission seul en studio. Mais je le fais, j’y arrive. Je suis un homme comme les autres.

Vous savez, je suis ce genre de personnes qui veulent juste être heureuses. Le reste, j’arrive à l’oublier quand je suis heureux. J’adore animer cette émission. J’adore demander aux gens qui écoutent de m’envoyer des musiques, de me faire part de leurs commentaires. J’adore les lire, savoir que c’est pour ce que je suis qu’ils me contactent, pas pour ce à quoi je ressemble. »

Le sommaire de notre série Les albinos du Malawi racontent leur quotidien