La cour d’appel de Paris s’est érigée en garante de la liberté d’expression des associations de protection de l’environnement, jeudi 23 février, en condamnant l’Association nationale pommes poires (ANPP) à verser 5 000 euros à Greenpeace France qu’elle accusait de « dénigrement », et en la déboutant de sa demande de dommages et intérêts.

Le contentieux portait sur un rapport publié à la mi-juin 2015 par Greenpeace dans le cadre de sa campagne « Course zéro pesticide » et intitulé : « Pommes empoisonnées : mettre fin à la contamination des vergers par les pesticides grâce à l’agriculture écologique ». Estimant ce titre dénigrant et préjudiciable au développement de la consommation du produit pomme qu’elle défend, l’ANPP avait assigné l’ONG en référé – une procédure d’urgence – quelques jours après la publication du document. Elle exigeait qu’il soit renommé sans la mention « pommes empoisonnées » et réclamait 50 000 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral.

Me Alexandre Faro, avocat de Greenpeace France, a plaidé avec succès que l’adjectif « empoisonné » signifiait « pollué », « contaminé », et que la critique formulée portait sur l’usage de pesticides sans jeter le discrédit sur la pomme en tant que produit. Il a rappelé que le droit à la liberté d’expression comprend la liberté de communiquer des informations pour l’information du public.

Enjeu de santé publique

La cour d’appel de Paris a jugé que Greenpeace avait agi « dans un but d’intérêt général et de santé publique » conforme à son objet social, en usant d’un style « proportionné au but recherché » sans abuser de la liberté d’expression dont elle dispose en vertu de l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme.

« La cour d’appel de Paris s’est inspirée de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui se fait gardienne de la liberté d’expression quand l’environnement et l’intérêt général sont en jeu, explique Laurent Neyret, professeur de droit de l’environnement. Cette décision montre que l’image de la pomme empoisonnée était justifiée par un enjeu de santé publique, et que Greenpeace avait la volonté d’alerter et non de dénigrer ».

L’affaire n’était pourtant pas entendue. S’appuyant sur l’article 1382 du code civil et considéré comme un acte de concurrence déloyale, le dénigrement expose son auteur à verser des dommages et intérêts potentiellement élevés et obéit à une règle de prescription de cinq ans. Ainsi, en mars 2015, le journaliste et critique gastronomique spécialisé dans les questions de consommation Périco Légasse a été condamné à verser 5 000 euros à un groupe laitier en raison de propos tenus à l’encontre d’une marque industrielle de camembert au cours d’une émission de radio traitant de la sécurité alimentaire.

En septembre 2016, l’ANPP et deux autres organisations de la filière des fruits et légumes traditionnels ont également fait condamner par le TGI de Paris le réseau Biocoop S.A., leader de la distribution alimentaire biologique, pour une campagne de publicité appelant au boycott des pommes « traitées chimiquement ». Réduite à payer 10 000 euros à chacune des associations, Biocoop n’avait pas fait appel.

Procédures « bâillons »

Le recours à ces procédures dites « bâillons » – car elles visent à museler autant qu’à épuiser financièrement et psychologiquement l’adversaire – s’est intensifié à partir des années 1970 aux Etats-Unis et au Québec, au point que des lois sanctionnent désormais lourdement les actions abusives en diffamation ou en dénigrement.

« La tendance de certains groupes d’intérêts à faire pression sur la participation de la société civile au débat public prend de l’ampleur en France dernièrement et n’est pas seulement le fait de multinationales, observe Laurent Neyret. Le risque pour les ONG mises en cause n’est pas tant lié aux condamnations qu’elles encourent qu’à l’inégalité des armes en termes de moyens financiers et de temps consacrés à la procédure. Leur pérennité peut être menacée. »

Dans l’affaire des pommes qui l’oppose à Greenpeace France, l’ANPP pourrait se pourvoir en cassation, ou saisir un tribunal civil qui examinerait le dossier au fond, comme elle l’avait fait contre Biocoop.