Emmanuel Kerner

De l’héritage des collèges jésuites dans notre système éducatif, on cite l’influence qu’ils exercent sur notre enseignement secondaire. Organisation de la scolarité en années corrélées à un ­niveau (les classes). Découpage de la journée en séances limitées dans le temps et consacrées à des matières différentes. Alternance entre cours magistraux et exercices pratiques. On oublie plus souvent que les missionnaires de la Compagnie de Jésus importèrent également en France le principe des notes et des concours. Ils l’avaient découvert en Chine où, ­selon une pratique remontant au IIIe siècle avant J.-C., les « examens impériaux » réglaient le recrutement de la ­bureaucratie d’Etat. Napoléon n’alla pas chercher plus loin pour régir l’entrée dans les grandes écoles qu’il créa. Un siècle plus tard, la République ne vit pas grand-chose à redire à ce système réputé méritocratique puisque, sur le papier du moins, égalitaire.

Aucune somme sociologique n’a découragé la France de maintenir ces modalités de recrutement pour son administration et ses grandes écoles, quand bien même ce caractère égalitaire laisse dubitatif si l’on observe le pedigree des élèves des grandes écoles.

De beaux jours devant lui

La création de voies d’accès alternatives, destinées à reconnaître les talents moins scolaires, s’est même toujours heurtée au mieux à la suspicion, au pire à de violents tirs de barrage des hérauts de la « méritocratie ». Cela se vérifie aussi bien dans l’univers des écoles que dans celui de la fonction publique – un énarque entré par la « troisième voie » rivalise rarement avec un de ses coreligionnaires ayant enchaîné dans sa prime vingtaine le home run bac-Sciences Po-ENA. Profondément ancré dans l’histoire, porteur de valeurs qui parlent aussi bien au « méritocrate » républicain qu’au libéral croyant dans les vertus de la concurrence « libre et non faussée », solidement relié à la sagesse populaire selon laquelle il n’est de juste récompense sans quelques souffrances préalables, le concours a de beaux jours ­devant lui. D’autant que certaines écoles habillent de ses oripeaux des procédures d’admission aux mailles pourtant très lâches, tant l’absence de sélection, en France, fait planer un doute sur le sérieux d’une formation. ­Façon de satisfaire les marxistes tendance Groucho qui refusent de « faire partie d’un club qui accepterait de [les] avoir pour membre »… sauf sur concours, fût-il factice.

A moins que cet attachement très français aux ­concours tienne à ce que leurs vices à l’échelle collective n’interdisent pas leurs vertus au niveau individuel. Les « bêtes à concours » que nous interrogeons en ­témoignent : moins que le concours, le chemin qui y mène leste les candidats d’une puissance de travail sur laquelle ils s’appuieront toute leur vie. Y compris après avoir échoué.

Voici les articles de notre dossier spécial consacré aux concours :

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