La police enquête sur la disparition de la famille Troadec près de Dirinon (Finistère), le 2 mars 2017. | FRED TANNEAU / AFP

Alertés par l’une des sœurs de Brigitte Troadec, les policiers découvrent, le jeudi 23 février en soirée, à Orvault, près de Nantes (Loire-Atlantique), un pavillon déserté, dans « lequel la vie se serait comme arrêtée, à un instant T », pour reprendre les mots du procureur de la République.

Il fait 8 °C à l’intérieur. Le chauffage est coupé. Des brosses à dents manquent dans la salle de bain, mais une brosse à cheveux est toujours là. Aucun drap ne recouvre les lits, mais d’autres sèchent à l’extérieur, dans le jardin. Du linge humide se trouve encore dans le tambour de la machine. Dans l’évier, la vaisselle n’a pas été lavée et, dans le réfrigérateur, les sushis achetés par Brigitte Traodec et sa fille, le 16 février peu avant midi, sont désormais périmés.

Dans la chambre du fils Sébastien, au rez-de-chaussée, ils découvrent un téléphone portable – qui lui appartient – maculé de sang. A l’étage, ils retrouvent également celui de son père, qui, lui, est intact. Ceux de Charlotte et de Brigitte ont disparu.

De grandes quantités de sang dans la maison

D’emblée, ce soir-là, les enquêteurs observent également de « nombreuses traces de sang, en grande quantité », dans le pavillon. Certaines ont été « sommairement essuyées ». D’autres non. Au rez-de-chaussée, à l’étage et dans le garage, les expertises ADN mettront en évidence celui des parents, en grande quantité. Dans la chambre du fils et sur son téléphone, c’est le sang de Sébastien que les analyses feront apparaître. Celui de Charlotte n’est détecté nulle part. Mais de nouveaux prélèvements ont depuis été effectués dont les résultats sont attendus sous peu.

« Au sujet de la maison, on peut presque parler de scène de crime, a indiqué vendredi Pierre Sennès, le procureur de la République de Nantes, lors d’une conférence de presse. Trois personnes ont perdu du sang. On ne peut pas dire si des blessés se sont déplacés dans cette maison ou si des corps ont été traînés. On ignore également si elles ont été blessées, si elles sont auteures ou bien victimes. Quoi qu’il en soit, elles ont perdu beaucoup de sang. Les blessures sont incontestablement très graves. Et l’on peut penser que certaines sont décédées. »

Jeudi et vendredi derniers, un morpho-analyste venu d’Ecully (près de Lyon), a passé de longues heures à examiner les traces pour éclairer la scène. Il a notamment cherché à déterminer la trajectoire des coups portés, le positionnement des protagonistes au moment des faits, ainsi que la nature de l’arme (ou des armes) qui ont pu être utilisées. « Aucune arme ou objet pouvant avoir servi à commettre des violences » n’a, en effet, été retrouvé sur les lieux, a précisé Pierre Sennès.

Le dernier téléphone s’éteint à 3 h 12 cette nuit-là

Une première étude de la téléphonie a permis d’établir que les téléphones des quatre membres de la famille se sont éteints les uns après les autres, dans la soirée du 16 février. L’appareil de Sébastien est celui qui émet le dernier. Il est alors 3 h 12, le 17 février, très exactement. Les enquêteurs savent également que Charlotte a communiqué avec une amie à 19 heures ce soir-là, sur Internet. La scène de violence est donc survenue entre 19 heures et 3 heures du matin.

Aucun mouvement n’a été observé sur les comptes bancaires depuis le 16 février. Ce jour-là, les enquêteurs savent que Charlotte et sa mère sont allées faire opposition à la banque. « Pour offrir un cadeau à son frère, la jeune fille avait acheté des jeux vidéo sur un serveur américain, a précisé Pierre Sennès vendredi. Or, le retrait était bien supérieur à ce qu’elle croyait. Elle a cru à une escroquerie. Elle a pris peur. C’est tout. Son frère n’a rien à voir là-dedans. »

Par ailleurs, aucun retrait d’argent important n’a été effectué peu avant les faits. Le procureur de la République a également rappelé que « M. et Mme Troadec travaillaient tous les deux » – lui dans une entreprise de fabrication d’enseignes lumineuses à Orvault, elle au centre des impôts de Nantes – et que « le couple ne rencontrait aucun problème d’ordre financier ».

Des éléments retrouvés dans le Finistère

Mercredi, soit six jours après le début de l’enquête et alors que les recherches se concentraient sur Orvault, un « pantalon en jean gris » appartenant à Charlotte a été découvert par une joggeuse dans un fossé, à Dirinon, dans le Finistère, soit à près de 300 km de Nantes. A l’intérieur des poches, la carte Vitale de la jeune fille, une carte de fidélité d’un magasin lui appartenant également et une carte bancaire ont été retrouvées.

La police recherche des traces de la famille Troadec près de Dirinon, le 2 mars 2017. | FRED TANNEAU / AFP

Le lendemain, un livre de jeunesse, « façon album de Mickey », selon Pierre Sennès, a été découvert 500 m plus loin, dans la même zone boisée, à quelques kilomètres de Landerneau, berceau de la famille Troadec. Il portait une étiquette au nom de « Pascal Troadec », alors en classe de quatrième.

Les résultats des analyses sur la voiture non communiqués

Jeudi matin, c’est la Peugeot 308 du fils Sébastien qui était signalée à Saint-Nazaire. A ce stade des investigations, impossible de dire depuis quand elle était là, exactement. « A ce sujet, les témoignages sont contradictoires », a indiqué le procureur. Impossible aussi de savoir qui l’a déposée à cet endroit. On ignore également si le conducteur était seul, ou s’il avait un ou plusieurs passagers.

Ce que l’on sait, c’est que la famille Troadec n’avait aucune attache connue dans cette cité portuaire, située à 55 km d’Orvault. Cette voiture était la seule absente devant le pavillon familial quand les policiers ont été alertés le 23 février. L’Audi A4 et la BMW des parents étaient toujours stationnées rue d’Auteuil. Elles ont été saisies pour expertise. La Peugeot, elle, était donc activement recherchée et faisait d’ailleurs l’objet d’une diffusion nationale.

La voiture de Sébastien Troadec a été retrouvée à Saint-Nazaire, la 2 mars 2017. | JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP

Elle se trouvait sur un parking, régulièrement stationnée, en plein cœur de la ville, à deux pas de commerces. Immédiatement confiée aux mains des techniciens, elle a été passée à la loupe. Dans cette voiture, qui paraissait avoir été nettoyée, les experts ont constaté l’absence d’un tapis dans le coffre et procédé à des prélèvements sur le dos des sièges arrière notamment. Des traces de sang ont été observées. Les résultats des analyses diront à qui il appartient. Mais Pierre Sennès a d’ores et déjà annoncé qu’il ne communiquerait pas « en temps réel, ces éléments, fondamentaux pour l’enquête ». « La justice se doit de mener à bien cette enquête, a ajouté le procureur de la République de Nantes. Il faut prendre garde à ne pas entraver l’enquête pour ne pas faire échec à la manifestation de la vérité. »

Ce samedi, les opérations de ratissage qui étaient menées dans le Finistère ont été levées. De leur côté, les nombreux enquêteurs de la DIPJ de Rennes poursuivent leurs investigations, pour faire la lumière sur cette affaire qualifiée d’« exceptionnelle ». Une centaine d’hommes sont mobilisés. « Ce qui est certain, à ce stade, c’est que les quatre membres d’une famille ont disparu et que trois d’entre eux ont beaucoup saigné a conclu Pierre Sennès. Tous les scénarios sont possibles. Des hypothèses s’additionnent qui ouvrent des pistes d’enquête. Il n’est pas impossible que quelqu’un se livre à un jeu morbide pour balader les enquêteurs. Mais ils restent concentrés sur leur objectif, qui est de faire la vérité dans cette affaire. »