Antonin Malchiodi

Lorsque Joseph, alors en terminale ES à Paris, s’est renseigné sur les universités américaines, il est tombé de haut : 35 000 dollars (33 000 euros), voire plus, par année d’étude ? Non merci. « Et pour y entrer, je me suis rendu compte que c’était compliqué, et je n’étais pas bon élève au lycée… », se souvient-il. Un cousin lui parle du community college de Santa Monica, à Los Angeles – une formation en deux ans. Bien moins cher, sans sélection à l’entrée, au bord de l’océan… Et à la clé la possibilité d’intégrer une université directement en troisième année. Ses parents lui donnent le feu vert.

C’est ainsi qu’en septembre 2015, à 18 ans, Joseph est devenu étudiant dans un community college californien. Il a pris des cours d’anglais pour étrangers, puis choisi des enseignements en business et en informatique. « J’aime mes cours, je me suis vraiment mis à travailler ici. » Certes, reconnaît-il, ce n’est pas tous les jours facile.

Etudier dans un community college, ce n’est pas être dans une carte postale. Pas de campus verdoyant avec logements et stade de foot rutilant, peu de services pour les étudiants, pas d’esprit de promo… « On est un peu livré à soi-même », dit-il. Et le public est très hétérogène.

Sept millions d’étudiants aux Etats-Unis, plus du tiers des effectifs

Dans les community colleges, l’âge médian est de 24 ans, et les deux tiers des élèves ont un travail à côté, selon les chiffres de l’American Association of Community Colleges. « Il y a des associations, mais la plupart viennent prendre leurs cours et repartent. En revanche, il y a beaucoup d’étrangers, cela facilite l’intégration », précise Joseph, qui se dit « transformé » par cette expérience qu’il ne ­ « regrette pas une seconde ».

Ils sont peu nombreux – environ 600 par an – les Français qui, comme Joseph, s’inscrivent dans un community college. Ce sont des établissements dont on parle peu. Les « héros méconnus de l’enseignement supérieur », a même dit l’ex-président Barack Obama. Et pourtant, les 1 200 community colleges rassemblent sept millions d’étudiants aux Etats-Unis – soit plus du tiers des effectifs.

Si on en parle peu, c’est qu’ils souffrent d’une image d’établissements de « second choix », destinés à ceux qui n’ont pas le niveau ou les moyens d’intégrer une université. « Cette vision reste présente, surtout dans les classes moyennes et supérieures, mais elle n’est pas méritée. Le public est plus divers qu’il n’y paraît, et les community colleges ont fait beaucoup d’efforts pour favoriser la réussite de leurs élèves », affirme Richard Alfred, professeur en sciences de l’éducation à l’université du Michigan, qui a étudié ces institutions.

« Toutes ces institutions sont accréditées, leurs enseignants sont tous qualifiés » Martha Parham, porte-parole de l’American Association of Community Colleges

Si leur image change, c’est que beaucoup se rendent compte de leur « incroyable rapport qualité/prix », argue Richard Alfred. Notamment par effet de comparaison, alors que les universités ont gonflé leurs frais de scolarité ces dernières années. En moyenne, un Américain qui étudie dans un community college débourse 3 400 dollars par an (les étudiants étrangers paient plus).

Certes, ces institutions ne proposent pas autant de services, d’équipements et d’accès à la recherche que leurs grandes sœurs. « Mais elles sont toutes accréditées, leurs enseignants sont tous qualifiés, soutient Martha Parham, porte-parole de l’American Association of Community Colleges. Les cours sont les mêmes que ceux offerts dans les universités. Parfois, ce sont les mêmes professeurs. »

Richard Alfred abonde : « Et dans les universités, ce sont souvent des doctorants qui assurent les cours de première année. Alors que dans les community colleges, ce sont des professeurs titulaires [il n’y a pas de doctorants]. Donc je dirais que les cours sont parfois meilleurs dans les community colleges ! »

Autre avantage : « Beaucoup de cours se font à 25 ou 30. C’est un environnement rassurant pour les étudiants, tourné avant tout vers l’enseignement. Les jeunes peuvent prendre leur temps pour choisir ce qu’ils ont envie de faire, se familiariser avec le monde académique sans pression », résume Ted Lewis, vice-président du Pellissippi State Community College, dans le Tennessee.

Fort taux d’abandon

Ainsi, les community colleges attirent beaucoup de jeunes qui auraient la possibilité d’aller dans des universités plus prestigieuses mais trouvent que cette formule offre plus d’avantages pour leurs deux premières années post-lycée.

C’est le cas de Clara Martin, 20 ans, qui vit et étudie dans une banlieue aisée de New York, au Westchester Community College. « Cela me permet d’économiser en habitant chez mes parents. Surtout, je ne me voyais pas dépenser plus, alors que je n’étais pas certaine de ce que je voulais faire. »

Après avoir testé diverses matières, elle a décidé de se spécialiser dans le graphisme et compte poursuivre ses études dans une école d’art à New York. « Quand j’explique cette stratégie, cela fait sens. Mais il faut être motivé. Car si les profs sont très bons, les community colleges n’attirent pas vraiment les meilleurs étudiants. »

Et c’est bien la principale difficulté des community college : le fort taux d’abandon. Seulement 39 % des inscrits en première année obtiendront un diplôme dans les six années suivantes. Un chiffre peu flatteur, qui reflète leur réalité sociologique. Ainsi, un tiers des élèves sont des étudiants de « première génération » (leurs parents n’ont pas fait d’études). « Beaucoup font face à des difficultés financières, doivent concilier leurs études avec un travail et des contraintes familiales. C’est ce qui explique le décrochage », déplore Samuel Hirsch, vice-président du community college de Philadelphie.

Moyens financiers limités

C’est le défi de ces institutions, qui doivent en même temps composer avec des moyens financiers limités. Surtout depuis la crise de 2008, alors que nombre d’Etats se sont désengagés du financement de l’enseignement supérieur. « Plus ces community colleges sont installés dans des secteurs pauvres, plus c’est difficile, car leurs moyens sont aussi fonction d’impôts locaux. Lorsque ceux-ci baissent, ils doivent augmenter les frais de scolarité, réduire leur nombre de cours. Parfois, deux community colleges séparés d’une dizaine de kilomètres offrent des réalités très variées », souligne Richard Alfred.

La diversité des community colleges se manifeste aussi dans le nombre et la qualité de leurs accords de « transferts ». Celui de Joseph offre des passerelles très favorables vers l’University of California Los Angeles (UCLA), l’une des meilleures facs du pays. Pour Joseph, cette possibilité a été ­ « décisive » dans son choix. Mais à cause du prix, il va poursuivre ses études au Canada, où il peut obtenir des équivalences. « J’ai postulé à McGill et Concordia, affirme-t- il. Finalement, les community colleges sont une autre porte pour accéder à des universités en Amérique, sans que ce soit la ruine. ­Ensuite, tout est possible. »

Des établissements de proximité

Les community colleges, qui proposent une formation en deux ans, n’ont pas d’équivalent en France. Leur création remonte au début du XXe siècle. A côté des universités sélectives et formant l’élite, ils ont été conçus comme des établissements de proximité, pour démocratiser l’accès à l’enseignement supérieur. Ils ont été créés par des lycées, des universités, ou sont nés dans le giron de fédérations professionnelles. Certains sont très familiaux, d’autres gèrent des effectifs massifs (93 000 étudiants pour le Houston Community College). Ils proposent des cursus généralistes ou tournés vers la préparation d’un métier. Pour les étudiants, deux possibilités : sortir avec un diplôme (l’associate degree), ou demander, avec les crédits accumulés, un « transfert » vers une université, afin d’obtenir deux ans plus tard un bachelor degree.

[Sources : College Board, Annual Survey of Colleges ; Institute of International Education ; National Center for Education Statistics ; Rapport « Completing College : A National View of Student Attainment Rates – Fall 2010 Cohort » ; American Association of Community Colleges.]