JOCELYN COLLAGES

C’est une maison blanche, au cœur du vieux Bruges. Rien ne la distingue de ses paisibles voisines. C’est d’ici, pourtant, qu’a été lancé en 2010 un mouvement très novateur en faveur des personnes atteintes d’Alzheimer. « Notre but est que la cité accorde une place à ces personnes, qu’elles soient traitées avec respect et attention », explique Bart Deltour, l’un des initiateurs de ce projet de ville dementia friendly, ou« amie des personnes souffrant de difficultés cognitives ».

La maison Foton, ouverte sur la ville

Revenons à cette maison blanche. On y vient à pied, on ne frappe pas. Ce lieu d’accueil, de rencontres et de formation a été créé il y a vingt anspar une communauté de soins à domicile, la Familiezorg West-Vlaanderen, qui le finance. C’est la maison Foton, la bien-nommée. « Un photon est un grain de lumière, explique Bart Deltour, son directeur. Ici, nous cherchons les particules de lumière qui subsistent chez les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, même s’il y a beaucoup d’ombres. »

Dans ce lieu, elles sont des personnes normales avec une maladie. « L’essentiel de leur identité, leurs besoins, leurs ­affects, leurs émotions, reste préservé. » D’où l’importance de continuer à partager avec elles ce qui est « humain et universel ». Moyennant quoi, « on voit parfois de petits ­miracles », confie Bart Deltour.

La maison est ouverte sur la cité. Comme dans la chanson de Maxime Le Forestier, ceux qui vivent là ont jeté la clé. Et, comme dans la chanson, la musique y tient une place de choix. Foton coordonne ainsi une chorale de patients, qui se produit en ville.

« C’est très réconfortant, pour ces personnes, de chanter au sein d’une chorale. Elles retrouvent une dignité, un moyen d’exprimer leur identité, explique Simone de Groote, bénévole. A Noël, un public de plus de 370 âmes est venu nous écouter dans une église»

« Changer les perceptions sur cette maladie semble facile, mais ça ne l’est pas »

Dominique, 60 ans, est une choriste très enthousiaste. Quand sa maladie d’Alzheimer a été diagnostiquée, il y a deux ans, elle a eu « un sentiment de révolte ». Maintenant, dit-elle, « cela va très bien ». A Foton, elle se sent accueillie, reconnue. Et son mari, Franky, peut souffler. « Le problème, c’est qu’on veut cacher les personnes atteintes. Or, il est très important, pour elles, de continuer à faire des choses au quotidien : se promener, aller à la banque ou dans un magasin… », ­témoigne-t-il. Il salue l’action de Foton auprès des commerçants de Bruges.

Ceux qui veulent ma­nifester leur solidarité affichent un logo : un mouchoir avec un nœud – pour dire « n’oubliez pas ! » « Le plus important, c’est de bien connaître les personnes atteintes parmi nos clients, de s’adapter avec patience », témoigne Jan de Clerck, qui tient une confiserie. Pour autant, seuls une centaine de ­magasins du centre de Bruges ont adhéré au projet. « Changer les perceptions sur cette maladie, cela semble facile, mais ça ne l’est pas », admet Bart Deltour.

Préserver l’autonomie

Foton propose, par ailleurs, des formations aux aides-soignantes qui interviennent à domicile. « Nous apprenons à communiquer avec les personnes malades sans les infantiliser », raconte Ann, aide-soignante. Parfois, elle va prendre un café ou se promener avec elles. « Plus on fait de choses ensemble, plus on préserve leur autonomie. C’est ce qui fait la différence entre une vie de qualité et une vie d’indignité », relève Bart Deltour.

« Comment retrouver le plus vite possible les personnes souffrant de démence qui disparaissent ? En hiver, chaque heure compte »

Autre partenaire-clé du projet : la police municipale. « Il y a quatre ans, nous avons été contactés par Foton. Comment retrouver le plus vite possible les personnes souffrant de démence qui disparaissent ? En hiver, chaque heure compte », raconte Dirk van Nuffel, directeur de la police municipale de Bruges. La réponse ? Des fiches, élaborées à l’avance pour chaque pensionnaire des maisons de retraite ou bien avec des organisations de soins à domicile. Elles ­détaillent des données cruciales en pareil cas : photo, description physique, traitements médicaux, hobbys, éléments essentiels de la vie passée… « Souvent, ces “fugueurs” retournent dans des lieux importants de leur passé, explique le policier. Dans plus de la moitié des cas, ces fiches nous ont aidés à les retrouver rapidement. »

Aide de l’art

Mais Bruges est aussi une ville d’art. Ses primitifs flamands attirent 6 millions de touristes par an. Leur subtile lumière pourrait-elle éclairer ceux qui souffrent ? C’est le pari du Musée Saint-Jean. « Il y a ici une tradition de soins séculaire : pendant plus de huit cents ans, ce lieu a été un hôpital », raconte Evelien Vanden Berghe, conservatrice adjointe. Elle pilote un projet, lancé en février, de visites consacrées à ces familles.

« Ce sont des visites très lentes. On se focalise sur trois ou quatre tableaux, souvent très colorés, avec de grands personnages. Les guides sont attentifs aux réactions de ce public. » Ainsi une blonde ­Madeleine a rappelé à un vieux monsieur son premier amour…

Bistrot mémoire en France

En Europe, d’autres projets de ville dementia friendly essaiment. En France, un premier ­Bistrot mémoire a été créé en 2004, à Rennes. « Lors de mes ren­contres avec les familles, une des plus grandes plaintes était la perte de communication », raconte Isabelle Donnio, psychologue, chargée d’enseignement à l’Ecole des hautes études en santé publique. Elle est à l’origine de ce bistrot, avec Irène Sipos, alors directrice d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Quand « le mot vient à manquer », ce lieu convivial, où interviennent une psychologue et des bénévoles, prend le relais pour « préserver ou ­restaurer le lien social ».

En 2009, une Union nationale des Bistrot mémoire est crééeavec le soutien financier des groupes Agrica, Humanis et Malakoff Médéric. Elle fédère une cinquantaine de bistrots. De mai à juillet 2017, un bus sillonnera la France pour promouvoir ces cafés et sensibiliser la société à cette ­maladie encore taboue.