Matthieu Goar, journaliste au Monde, a répondu à vos questions sur la situation de crise et de blocage à droite.

LouisBaudelaiRimbaud : Bonjour, merci de votre live. Après la non-volonté de Juppé de se présenter, François Baroin semble-t-il l’alternative la plus plausible pour poursuivre ? Lui qui a toujours été avec Fillon depuis les primaires.

Matthieu Goar : François Baroin est un des noms évoqués pour remplacer François Fillon. Il a soutenu Nicolas Sarkozy pendant la campagne de la primaire et serait suivi par les fidèles de l’ancien chef de l’Etat. Il a aussi un bon réseau chez les élus en tant que président de l’Association des maires de France et son image de chiraquien peut rassurer. Mais il y a peu de chances qu’il soit candidat. Nicolas Sarkozy répète en privé que François Fillon doit partir de lui-même avant d’être remplacé. Et Fillon n’a aucune envie de lâcher. Ils sont dans une impasse car renverser Fillon pourrait radicaliser un peu plus son électorat qui aurait l’impression d’une machination et serait tenté par le FN.

Maël : Bonjour, quel intérêt a la réunion du comité politique de ce soir si tout se décide demain entre Sarkozy, Fillon et Juppé ?

M.Gr : Effectivement, ce comité politique a perdu de son intérêt. Il y aura sans doute des phrases très critiques contre Fillon. Mais rien ne se décidera là puisque François Fillon a répété hier au 20 heures que les perdants de la primaire – qui sont dans ce comité – n’allaient pas décider à sa place. La rencontre avec Juppé et Sarkozy est bien plus importante. Ce qui se joue est de l’ordre psychologique : quelqu’un arrivera-t-il à convaincre Fillon de renoncer ?

J-g : Dans la partie de son intervention où il constate le désamour des Français pour les politiques vieillissants, Juppé ne semble-t-il pas entrouvrir une porte à Macron ?

Juppé a dressé un vrai réquisitoire contre François Fillon et sa dérive populiste

M.Gr : Non pas du tout. Alain Juppé a au contraire eu des mots très durs ce matin contre Emmanuel Macron en parlant de son « immaturité », de son manque d’expérience. Alain Juppé a surtout dressé un vrai réquisitoire contre François Fillon et sa dérive populiste tout en disant à la droite qu’il ne serait pas un recours. Alain Juppé ne jouera pas contre sa famille mais il a bien compris que son projet n’était pas au centre de gravité de la droite puisqu’il a vécu une défaite importante lors de la primaire. Il n’avait pas vraiment envie de revivre une nouvelle campagne galère.

Nogg : Pourquoi les sarkozystes ne cherchent-ils pas à « replacer » Nicolas Sarkozy lui-même, plutôt que François Baroin ? Sarkozy est-il jugé trop clivant ?

M.Gr : Comme souvent, on peut s’interroger sur ses réelles volontés. Mais Nicolas Sarkozy ne cesse d’affirmer qu’il n’a plus d’avenir politique. Il est passé à autre chose mais la situation à droite l’a rattrapé. Son entourage se montre très dur envers François Fillon qui l’oblige à remettre les mains dans le cambouis. En fait, l’ancien président de la République est plutôt content de se poser en réconciliateur. Il aimerait bien voir Fillon renoncer mais il sait aussi que le pousser dehors publiquement l’amènerait à se braquer et à s’entêter. Il n’était pas non plus très ravi de laisser Juppé reprendre la campagne sans l’entourer de certains de ses fidèles comme Laurent Wauquiez ou François Baroin.

Baderne : Les sarkozystes étaient présents dimanche au Trocadéro (Baroin, Chatel…). N’est ce pas un signal envoyé par Sarkozy signifiant un non à Juppé ?

M.Gr : Effectivement, je ne pense pas que les sarkozystes soient si unis. Selon l’entourage de Nicolas Sarkozy, il n’y a pas eu de consignes. Mais chaque petite phrase de l’ancien président est entendue par ses fidèles. François Baroin ne voulait absolument pas d’un remplacement de Fillon par Alain Juppé. Il joue la carte Fillon jusqu’au bout. Tout comme Eric Ciotti qui a des divergences idéologiques avec M. Juppé. Sarkozy aurait bien aimé que Fillon renonce de lui-même. « Ça ne peut plus durer comme ça », a-t-il dit à Fillon samedi matin. Mais il n’a pas le pouvoir de forcer Fillon à se retirer. Surtout que l’ancien premier ministre s’appuie sur la légitimité très forte d’une primaire où il y a eu plus de 4 millions d’électeurs.

Lorraine 29 : Si François Fillon remboursait les salaires perçus les Français ne se rapprocheraient-ils pas de lui ?

M.Gr : Peut-être que cela aurait eu un effet mais cela n’a jamais été réellement envisagé. En fait le problème dans cette affaire est que François Fillon ne s’est jamais senti coupable. Il a toujours répété que cette pratique est « légale » (à condition bien sûr que le travail réalisé par Mme Fillon ne soit pas fictif). Au niveau de la morale, il concède juste avoir mis un peu plus de temps à s’adapter au désir de transparence des Français. Quand on se sent injustement mis en cause, on ne rembourse pas les sommes mais on commet aussi des erreurs de communication. Par exemple de dire que l’article du Canard est juste de la misogynie. François Fillon a en fait mis beaucoup de temps à se rendre compte de la gravité de la situation.

Greg95 : Fillon parle de la légitimité des primaires et des 4 millions d’électeurs. Mais n’est-elle pas caduque compte tenu du contexte ? Si la primaire avait eu lieu après « l’affaire », Fillon n’aurait-il sans doute pas largement perdu ?

Toute une partie de la droite bascule peu à peu dans l’antisystème.

M.Gr : Oui c’est d’ailleurs l’argument qu’avancent ceux qui veulent le remplacer. François Fillon était moins connu que les autres, il a toujours été plus secret et, comme personne ne s’attendait à sa victoire, les journalistes d’investigation ont réellement commencé à s’intéresser à lui après la primaire. Le problème est insoluble. Car la légitimité de la primaire n’est pas un mince argument. Toute une partie de la droite bascule peu à peu dans l’antisystème. Si les élus, Sarkozy, Juppé et les autres donnent l’impression de « tuer » Fillon en le remplaçant, le risque de fuite d’une partie de ces électeurs vers le FN n’est pas négligeable. Place du Trocadéro, j’ai pu parler à plusieurs personnes qui affirmaient qu’elles voteraient pour Le Pen si Fillon était empêché. Le candidat se sert de cet argument et paralyse les initiatives.

Popoulos : La référence à l’âge et aux anciennes affaires ressemble beaucoup à un prétexte invoqué par Juppé pour expliquer son renoncement. La vérité est sans doute ailleurs. Sarkozy n’aurait-il pas essayé de lui imposer un programme et un premier ministre ?

M.Gr : Oui, Sarkozy ne voulait pas laisser Juppé remplacer Fillon sans donner des signes de rassemblement. En termes plus prosaïques, il voulait que ses héritiers soient représentés dans cette nouvelle équipe de campagne. Il voulait aussi une inflexion plus à droite du programme d’Alain Juppé qui n’était pas rétif à cela. Cela aurait pu aboutir. Car l’ancien président a commencé à être énervé par Fillon à partir de jeudi dernier. L’entourage de ce dernier ne cessait de répéter que Sarkozy ne voulait pas d’un plan B, une façon de bloquer toute tentative de remplacement. Du coup, Sarkozy n’aurait pas bloqué éternellement l’émergence de Juppé. Par contre François Baroin ne semblait pas du tout vouloir faire équipe avec Juppé.

Penelope : La solution pour LR n’est-elle pas de former une équipe resserrée autour de Fillon, équipe qui pourrait devenir son gouvernement (Baroin, Chatel, Ciotti...), comme Fillon lui-même le disait hier soir sur France 2 ?

M.Gr : Comme l’irrationnel semble être la règle depuis cinq semaines à droite, restons prudents sur ce qu’il va se passer. C’est une des possibilités de sortie de crise. A la sortie d’une réunion avec Sarkozy ce matin, Christian Jacob a été voir Fillon pour lui demander des signes de rassemblement. Il peut y avoir cette semaine une annonce avec un nouvel organigramme de campagne. Il est possible que Fillon travaille de façon plus rapprochée avec les noms que vous citez.

Johangel : D’où vient cette « inimitié » entre Baroin et Juppé ?

M.Gr : Ce sont des histoires de petites rancœurs qui ont un poids énorme à droite. Baroin a toujours eu l’impression d’être méprisé par Alain Juppé (il n’est pas le seul). Il n’a pas apprécié d’être viré de son poste de porte-parole du gouvernement à l’automne 1995. Sous Sarkozy, Baroin espérait être nommé à Bercy mais Juppé a eu des mots très durs sur sa compétence.

Jean-Charles : Pourquoi passons-nous autant de temps sur cette affaire ? Il faudrait entrer dans les programmes des candidats, les discuter pour éclairer les Français. À mon sens ce qui risque d’amener Le Pen au pouvoir c’est l’absence de débat.

M.Gr : Il est normal que nous passions beaucoup de temps sur cette affaire. Tout un pan de la politique française est au bord de l’implosion à moins de sept semaines du premier tour, c’est un fait inédit et très préoccupant. Par contre je suis d’accord avec vous sur les conséquences. Cette affaire prend en otage l’élection présidentielle car elle occupe tout l’espace et ne permet aucun débat de fond. Marine Le Pen ne peut que se frotter les mains : son programme n’est jamais questionné et le climat du « tous pourris » n’a jamais été aussi explosif.

Paul Fion : Pourquoi cette différence de traitement médiatique entre les affaires Le Pen et Fillon ?

M.Gr : Au Monde, nous avons largement traité les affaires judiciaires de Marine Le Pen dans de nombreux articles. Mais les conséquences politiques pour Marine Le Pen sont beaucoup moins importantes : son parti n’est pas au bord de l’implosion et elle ne baisse pas dans les sondages. Comme si son électorat se moquait qu’elle ait utilisé de l’argent du contribuable pour payer ses assistants ou qu’elle refuse de se rendre aux convocations de la justice.

LegoBaladin : Juppé parlait ce matin d’une « immaturité » supposée de Macron… Mais que dire de toutes ces petites chicaneries que vous évoquez entre tous ces barons de droite ? On se croirait dans une cour de récréation !

M.Gr : On est effectivement dans un champ de bataille avec des petites tractations de couloirs, des grandes ambitions personnelles mais avec de très graves conséquences pour la droite. Cette famille politique est plongée dans l’inconnu. Elle s’attendait à arriver à l’Elysée et réfléchissait déjà au long terme, à la meilleure façon d’appliquer ses réformes. Depuis quelques semaines, tout a basculé dans le court terme. Tous se retrouvent dans un état de stress en attendant le prochain tweet ou la prochaine déclaration de Fillon ou des juppéistes. Ce qui se joue est la survie de la droite républicaine qui peut se diviser en deux camps : la ligne juppéiste, modérée qui penche vers le centre et la ligne dure incarnée par Fillon. S’il gagne, Fillon arrivera à recoller les morceaux. S’il est éliminé au premier tour, la droite n’échappera pas à un débat fratricide sur sa ligne.