Le destroyer américain « USS Cole », en janvier. | HANDOUT / AFP

Les Etats-Unis ont mené, entre jeudi 2 et lundi 6 mars, plus de 40 frappes aériennes contre Al-Qaida dans la péninsule Arabique (AQPA), la branche de l’organisation au Yémen. Il s’agit de la plus intense série de bombardements depuis le début de l’intervention américaine dans ce pays, en 2002, marquant un net infléchissement opéré par l’administration Trump en matière de lutte contre le terrorisme. Un récent rapport de l’ONU y dénombrait trente raids pour l’ensemble de l’année 2016.

Les avions et drones américains ont mené la moitié de ces attaques jeudi, dans un triangle de territoire reculé : des collines du sud du Yémen, où AQPA est profondément ancré, à la jonction des provinces de Chabwa, d’Abyane et de Baïda. Le Pentagone dit avoir ciblé des militants armés, des équipements et des infrastructures, des positions de combat et de l’armement lourd. Des sources tribales locales ont affirmé que des civils avaient été blessés – pour l’heure peu nombreux. Malgré ces frappes, les djihadistes ont mené deux attaques dimanche, tuant 11 soldats yéménites à Chaqra, sur la côte d’Abyane, et dans la province orientale de l’Hadramaout, selon des officiels yéménites.

Lundi, AQPA affirmait également avoir repoussé, au premier jour de l’opération, un débarquement de soldats américains sur la côte d’Abyane. Le Pentagone a nié avoir engagé des troupes au sol. Il précise que ces opérations aériennes avaient été autorisées par la Maison Blanche en même temps que le raid mené le 29 janvier par un commando des Navy Seals – le premier au sol depuis 2014. Cette opération avait abouti à la mort d’un soldat américain et de vingt-cinq Yéménites, dont dix femmes et enfants, dans un village de cette zone. Les renseignements collectés par les soldats, encore à l’étude, ne sont pas à l’origine des frappes aériennes, selon le Pentagone.

Le gouvernement yéménite, qui avait critiqué le raid de janvier, a été informé de ces frappes, ont précisé les autorités américaines. Vendredi, un officiel yéménite a cependant affirmé, de façon anonyme, que les objectifs exacts de cette campagne demeuraient obscurs, précisant qu’elle était menée « sans limite de temps ».

Ces frappes visent, selon le Pentagone, à affaiblir AQPA et à empêcher le groupe, qui est par exemple à l’origine de l’attaque contre Charlie Hebdo, de mener des attentats à l’étranger. Mais les pertes civiles éventuelles que des opérations de large ampleur risquent de provoquer exaspèrent la population, et pourraient renforcer, par contrecoup, les recrutements d’AQPA. 

« Illusoire »

« Les Etats-Unis croient pouvoir se débarrasser de ce problème par les armes, mais c’est illusoire, estime Elizabeth Kendall, spécialiste du Yémen au Pembroke College à l’université d’Oxford. Ces frappes peuvent être utiles, mais elles doivent être plus prudentes : il est très difficile de faire la part des militants d’AQPA au sein des tribus. » Certaines frappes ont visé des zones habitées, notamment une usine de briques dans la province de Chabwa, vendredi.

La Maison Blanche envisage actuellement de donner plus de latitude au Pentagone pour ordonner des opérations antiterroristes hors des zones de guerre où les Etats-Unis sont officiellement engagés (Afghanistan, Irak, Syrie). Le secrétaire à la défense, James Mattis, a présenté le 27 janvier au président Trump une série d’options pour intensifier également la lutte contre l’organisation Etat islamique.

L’administration Obama, qui avait donné une ampleur inédite à ce programme de frappes aériennes, l’avait également formalisé par une série de directives en 2013, en partie rendues publiques et renforcées par un décret présidentiel en 2016. La Maison Blanche avait suscité la frustration de militaires en centralisant ces décisions, qui suivaient, à leurs yeux, un processus trop lent.

AQPA a renforcé ses positions au Yémen à la faveur de la guerre menée depuis mars 2015 par une coalition dirigée par l’Arabie saoudite contre les rebelles houthistes et leurs alliés fidèles à l’ex-président yéménite Ali Abdallah Saleh. Les Etats-Unis soutiennent la coalition en matière logistique et de renseignement, mais ont retiré leurs conseillers permanents du pays. Leurs forces spéciales collaborent avec leurs homologues émiraties, qui concentrent leurs actions contre AQPA dans le Sud.

Des Américains ont ainsi assisté les Emiratis lors de la reprise du port de Moukalla à AQPA, en avril 2016. Dimanche, le site d’information émirati 24.ae affirmait que des marines participaient à l’entraînement de combattants yéménites contre Al-Qaida.

Jeu local d’alliances complexes

Ces opérations engagent les Etats-Unis plus avant dans un jeu local d’alliances complexes. Ainsi, la principale figure tuée dans le raid américain de janvier, Abdelraouf Al-Dhahab, présentée par Washington comme un haut dirigeant opérationnel d’Al-Qaida, était un chef tribal allié aux forces du président Hadi, soutenu par l’Arabie saoudite. Mais une partie de la famille d’Abdelraouf Al-Dhahab est apparentée au prédicateur américano-yéménite d’AQPA, Anouar Al-Aoulaki, tué dans une frappe de drone américaine en 2011.

Lundi, le fils d’une figure politique de la province d’Abyane ayant entretenu des liens avec AQPA comme avec le mouvement séparatiste sudiste, Tarik Al-Fadli, aurait également été tué dans une frappe américaine, selon plusieurs médias yéménites. AQPA combat toutes les forces en présence au Yémen, mais principalement la rébellion houthiste, dans la province de Baïda. Les Etats-Unis ont inscrit en 2016 le gouverneur de Baïda sur leur liste des « terroristes mondiaux expressément désignés ».