C’est un chiffon rouge traditionnel et le monde du transport public l’agite pour se faire entendre en cette période de campagne électorale. Mardi 7 mars, les Etats généraux de la mobilité durable vont demander solennellement que, parmi les « 70 propositions pour la mobilité de tous les Français », figure la remise à plat de « l’exercice du droit de grève et du droit de retrait », dans le but d’instaurer « un véritable service minimum dans les transports ».

Ces états généraux ont été lancés il y a dix mois par l’Union des transports publics (UTP), le syndicat professionnel des entreprises opératrices de transport en France, et le Groupement des autorités organisatrices de transport (GART), rassemblant les collectivités locales qui mettent en place des réseaux de bus, de trains, de trams et de métros. Leur objectif ? « Rappeler à nos grands hommes politiques l’importance de la mobilité », comme le dit Louis ­Nègre, sénateur LR, vice-président du conseil général des Alpes-Maritimes et président du GART.

Après neuf mois de consultations et d’échanges, ce vaste ­remue-méninges devait atteindre son point d’orgue mardi 7 mars, sous les ors du Sénat, avec la publication d’une adresse aux décideurs politiques. « L’objectif est bien de fournir des propositions aux écuries présidentielles qui se sont engagées dans la campagne, en espérant les retrouver dans les programmes des candidats, explique Jean-Pierre Farandou, président de l’UTP et patron de l’opérateur de transport Keolis. Je suis convaincu que ces états généraux joueront leur rôle d’interpellation dans le débat public. »

« Dérives »

L’interpellation sur le droit de grève et le service minimum pourrait bien rencontrer un certain écho. D’autant que ces mêmes Etats généraux de la mobilité invitent à accélérer les expérimentations de mise en concurrence des réseaux à monopole public (les trains régionaux, les bus parisiens) prévus au calendrier à l’horizon 2023-2024. Or, dans ces réseaux, les organisations syndicales sont en position de force et ont manifesté de la ­méfiance, voire de l’hostilité, à l’égard de la libéralisation.

« Nous assistons à des utilisations abusives du droit de grève »

Mais ce thème brûlant politiquement est aussi un sujet de préoccupation grandissant sur le terrain. Entreprises du transport et associations d’usagers dénoncent des « dérives » par rapport à l’esprit de la loi de 2007 sur le service minimum, qui prévoit une utilisation la plus large possible des personnels non grévistes et une information préalable des voyageurs. La loi ne met pas en cause le droit de grève, mais précise que ce dernier doit s’exercer par l’intermédiaire de préavis et doit être précédé d’une négociation initiale.

« Nous assistons à des utilisations abusives de ce droit », assure Bruno Gazeau, président de l’influente Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut), aussi partie prenante des Etats généraux de la mobilité. L’agacement monte contre les « grèves de confort » déclenchées à l’occasion des fêtes de fin d’année, comme ce préavis déposé par SUD Rail à la SNCF, du 24 au 26 décembre 2016.

« Un droit constitutionnel »

De la même manière, les préavis à durée très longue se répandent. Ils permettent des grèves tournantes, perlées, normalement interdites par la loi, ou des débrayages surprises de cinquante-neuf minutes difficiles à anticiper. Une sorte d’état de grève permanent qui pèse sur la qualité du service.

L’exercice du droit de retrait fait aussi débat. La Fnaut estime que les usagers sont lésés quand, par exemple, après l’agression d’un contrôleur à un endroit d’une ligne, les personnels arrêtent le travail sur l’ensemble du réseau. La Fnaut souhaite que le droit de retrait s’exerce en cas de menace précise et immédiate et non pas en réponse à un risque général.

« Il y a, dans tout cela, un défaut de prévisibilité, dit M. Gazeau. Nous ne demandons pas autre chose que davantage d’information en amont, afin que l’usager puisse s’organiser. » « Soyons clairs, ajoute M. Farandou, personne ne remet en question le droit de grève. Il est constitutionnel, c’est un acquis social majeur dans notre pays. Mais il existe des formes de détournement de l’esprit de la loi, qui, au bout d’un moment, posent question sur l’idée même du service public. »

D’autres fustigent plus directement des « dérives installées ». Tel Louis Nègre : « J’aimerais qu’on se souvienne qu’il n’y a pas que le droit de grève à être constitutionnel. La continuité du service public est aussi un droit fondamental pour nos concitoyens. »