Karima Taibi

Quand elle évoque système français de protection sociale, Valérie Grison sait de quoi elle parle. Et pour cause : cette femme de 45 ans est actuellement au chômage. « Ce système est mis à mal, car il n’est pas adapté à la réalité du terrain, affirme-t-elle. Lorsqu’on arrive en fin de contrat, on est consterné à l’idée d’être sans emploi et, en plus, on subit une période de latence sans indemnité, dite “délai de carence”. »

En cette journée de février, Valérie Grison s’est rendue à la Maison du diocèse de Raismes (Nord), une grande bâtisse en pierre, où est organisée une formation aux outils d’animation pour débattre de l’avenir de la protection sociale. Autour de la table : une dizaine d’usagers et de bénévoles du Secours catholique, dont certains en situation de grande précarité, épaulés par quelques salariés.

« Il me semble primordial de participer à ce type d’événement, car notre voix doit être audible et même – mieux encore – contribuer à l’élaboration d’une loi juste et réaliste », explique Valérie Grison. Celle-ci enchaîne des contrats à durée déterminée comme conseillère en… insertion sociale et professionnelle, ce qui génère chez elle un fort sentiment d’insécurité : « Le plus dur, c’est qu’on ne peut pas se projeter, ni planifier plusieurs mois à l’avance. »

« Nous avons besoin d’une vision neuve »

« Notre système de protection sociale n’est plus adapté, lui fait écho Daniel Verger, responsable du pôle action et plaidoyer du Secours catholique. Nous avons besoin d’une vision neuve, et surtout du point de vue des personnes en précarité, qui sont les plus concernées. »

Inspirés par les travaux et méthodes de l’intellectuelle québécoise Vivian Labrie, le Secours catholique, la Fédération des centres sociaux et l’association Aequitaz ont lancé une réflexion sur la refondation de la protection sociale qui doit aboutir à une proposition de loi. Ce projet lancé en 2015, qui croise les savoirs et expériences de tous, s’efforce de faire vivre la parole des populations les plus dépendantes du système de protection sociale.

Karima Taibi

Organisée par l‘équipe du Secours catholique de Cambrai, la journée de formation de Raismes avait justement pour but de donner aux participants les outils qui leur permettront de faire vivre cette réflexion commune. « Chacun pourra à son tour animer des journées sur la refondation de la protection sociale », explique Jeanne Outurquin, l’animatrice.

A quelles difficultés ces bénévoles peuvent-ils être confrontés au cours d’une séance d’animation ? Au fil des échanges, il apparaît évident que tous ne sont pas logés à la même enseigne : il y a les timides, les bavards et ceux qui participent seulement lorsqu’on les sollicite. C’est en petits groupes que les personnalités se révèlent.

« Le plus difficile pour moi, c’est de me retrouver seule devant une foule »

« Animer, c’est une chose, mais mobiliser, c’en est une autre ! », reconnaît Valérie Grison. Seul homme du groupe, Eddy (la plupart des participants à la formation ont souhaité garder l’anonymat), 45 ans, est préoccupé par ses difficultés pour s’exprimer oralement : « Je vis seul, donc je ne suis pas habitué à être avec beaucoup de personnes, et en plus je suis timide ! »

« Le plus difficile pour moi, c’est de me retrouver seule devant une foule et de trouver les mots, reconnaît Christiane, 52 ans, sans emploi. Le fait d’être accompagné par une personne que l’on connaît, ça nous aide et ça nous rassure. »

Cette mère de six enfants n’a jamais connu le monde du travail, mais a touché des aides sociales qui lui semblent la juste contrepartie de ses tâches éducatives et domestiques. Elle souhaite apporter sa pierre à l’édifice malgré les difficultés qu’elle ressent pour s’exprimer.

Préserver les acquis de la protection sociale

Aussi forte que soit leur motivation, ces personnes en précarité peuvent se trouver confrontées à des problèmes de disponibilité. « Je suis une mère seule et je dois m’occuper de mon petit dernier de 8 ans qui rencontre des difficultés, donc je ne peux pas me rendre aisément disponible », reprend Christiane.

Vers quoi cette réflexion collective s’oriente-t-elle ? Tout le monde s’accorde à dire qu’il faut tenter de préserver les acquis de la protection sociale « à la française », tout en l’adaptant aux évolutions de la société, notamment dans le domaine du rapport au travail. L’une des injustices le plus souvent évoquées concerne les très bas salaires, qui barrent l’accès aux aides sans pour autant permettre de couvrir tous les frais quotidiens.

« Mon idée principale, c’est que les revenus ne doivent pas être le seul critère pour obtenir telle ou telle prestation », explique Séverine. Sans emploi depuis plusieurs années, cette quadragénaire réservée a néanmoins décidé de rejoindre les équipes de bénévoles du Secours catholique.

« Je veux donner mon témoignage et transmettre mon expérience pour me rendre utile », dit-elle. Dans la foulée de ce travail collectif, une caravane proposera des animations sur la fraternité, la lutte contre les préjugés et la promotion de la cohésion sociale.

Karima Taibi (Reporter citoyen)

Paroles de sans-voix, un projet original

Donner la parole à ceux que l’on n’entend pas – ou si peu – dans le débat public, et ce à l’approche des échéances électorales que l’on sait : c’est la raison d’être du projet éditorial Paroles de sans-voix, fruit d’un partenariat entre Le Monde, l’Association Georges-Hourdin (du nom du fondateur de l’hebdomadaire La Vie, qui appartient au groupe Le Monde) et cinq associations actives dans la lutte contre la pauvreté et l’exclusion (Amnesty International, ATD Quart Monde, Cimade, Secours catholique, Secours islamique).

Autre aspect original de l’opération : les articles sont rédigés – et les vidéos tournées et montées – non par la rédaction du Monde mais par l’équipe des Reporters citoyens, des jeunes issus de quartiers populaires d’Ile-de-France qui ont suivi une formation gratuite au journalisme multimédia.