Trente-quatrième édition du très atypique festival Banlieues Bleues, sensationnel plateau en Seine-Saint-Denis de toutes les musiques actuelles, du 3 au 31 mars. Double programme, mardi 7 mars, à la Marbrerie de Montreuil. Vincent Courtois Trio (Daniel Erdmann, ténor sax, Julian Sartorius, batterie) dans leur programme Puccini, Les Démons de Tosca . Depuis quelque vingt-cinq ans, Vincent Courtois met son violoncelle (émérite) au service d’une ambition tenace ; le violoncelle est-il un instrument de jazz ? Vaste question. La réponse est oui.

Deuxième partie, Noël Akchoté, guitare sidérante, Alexandre Lagoya pulvérisé par Jimi Hendrix, en quintette avec son KCS Project International. Aux tambours, Han Bennink, le jeune homme au bandeau né à Zaadam, Pays-Bas, en 1942. A leurs côtés, un Belge de haute école, Joachim Badenhorst (anches), une guitariste tendance Jim Hall aux airs adolescents, Mary Halverson ; et Brad Jones, Afro-Américain de luxe à la contrebasse. Leur « Project » ? Tradition et modernité. Ce qui, me direz-vous, n’a rien d’une nouveauté. Vu par Akchoté, oui.

Tout est là

S’agit-il de jazz ? Sifflotons en regardant ailleurs. Toujours est-il que le moindre son, le moindre rythme, les élans ayleriens de Daniel Erdmann doublé par Vincent Courtois ; tout le répertoire du KCS Project, de KCS Blues à La Vie en rose, en virant, aile droite, sur la formidable chanson de Sidney Bechet, Si tu vois ma mère, tous thèmes traités à l’endroit, à l’envers, façon punk autant que loyale, avec ce goût déluré, baroque, jazz ou pas jazz, ne peuvent être joués que par des musiciens de jazz. Tout est là.

Pourquoi traiter ensemble deux groupes qui se succèdent ? Par pur égard pour l’idée de Banlieues Bleues (directeur, Xavier Lemettre). Une idée audacieuse, décalée, à l’heure où l’on n’ose plus, intéressant, d’ailleurs, avancer la notion d’avant-garde.

Vous, dans l’auditoire, vous faites d’un coup sec monter la moyenne d’âge. Vous vous rendez sans excès d’illusion à La Marbrerie, nouveau lieu de Montreuil. Branché sur un GPS monté sur roulement à billes, le taximan à l’accent syldave vous fait faire sept fois le tour de Paris. Vous arrivez enfin dans une rue moyennement yé-yé de Montreuil. Passé la porte, vous découvrez une salle étonnante, parpaings, échelles, mezzanine et bar, ancienne marbrerie configurée par un architecte subtil. Film de Kubrick.

Vincent Courtois - West (official video)
Durée : 06:13

Sortir de la route ordinaire

Le public ? Dans les rangs, souvent à la buvette, des musiciens. Signe parfait. Dès les premiers traits du trio de Vincent Courtois, vous êtes emballé. Soit votre névrose tient bon, soit la musique est là. Choisissez la deuxième option. C’est la bonne. En trois temps, Vincent Courtois et ses acolytes vous portent loin, très loin, dans leur propre « work in progress ».

Déboule, débonnaire, Akchoté. Ces gonzes et gonzesses qui n’existent pas une seconde en radio-télé (elles ont tellement mieux à faire), poursuivent la même idée. Prendre les choses là où ils les ont trouvées – Coltrane, Fats Waller, Eric Dolphy, qui vous voulez –, ils ont au pire la quarantaine, sauf le génial Bennink.

Intrépidement, ils prennent les choses en l’état, les sortent de la route ordinaire, les exaltent dans l’esprit et les portent plus loin, bien plus loin. Ils jouent pour le plaisir du son, celui des instruments (le violoncelle de Courtois, la guitare d’Akchoté), le tempo et la pulse. Vous, vous en sortez réconcilié par temps plutôt troubles. Pourquoi ?

Parce que Banlieues Bleues. Parce que la vie existe. A côté ? Autre ? Sans doute. Tous vos préjugés, d’abord ceux qui défigurent le jazz, le free, le rap ou la rumba, s’évanouissent devant la joie. Ce qui, accordez-le nous, n’est pas monnaie courante.

Banlieues bleues, Jazz en Seine Saint-Denis. Jusqu’au 31 mars. Tél. : 01-49-22-10-10. Sur le web : www.banlieuesbleues.org, www.lamarbrerie.fr